Samedi dernier, avant la manifestation pour demander la destitution d’Emmanuel Macron, nous sommes allés au Musée de la Résistance et de la Déportation de Toulouse. Fait notable, l’entrée y est gratuite, et une exposition très intéressante sur le Franquisme et ses ravages est à l’ordre du jour.
Évidemment il y aurait beaucoup à dire sur les expositions – temporaire et permanente – sur la Résistance toulousaine. J’aimerai m’arrêter ici sur une statue située au premier étage : la Marianne noire. Ici la république créolisée vous regarde. 1,90 m de haut, 88 cm de largeur d’épaules, soit plus qu’un rugbyman du Stade Toulousain, cette sculpture massive impressionne autant qu’elle interroge.
Mais d’où sort-elle ? Elle est l’œuvre d’un acte d’insoumission daté de 1848. Nous sommes alors peu après la Révolution de la même année qui a vu en réaction les royalistes revenir au pouvoir. Être alors républicain peut vous conduire en prison voire pire. Pourtant les loges maçonniques toulousaines décident de se doter d’une Marianne, comme il est souvent coutume de le faire en particulier dans le sud de la France. La tâche est confiée à l’un des plus grands sculpteurs Toulousain du moment : Bernard Griffoul-Dorval.
Ce dernier va alors prendre quelques libertés avec la commande et oser l’audace : une Marianne noire. Un hommage clair au combat pour l’abolition de l’esclavage dont une des étapes sera le décret d’abolition signé le 27 avril 1848. La Marianne Noire est une esclave affranchie. Elle porte à la fois une tunique d’esclave mais aussi un Péplos, tunique issue de la Grèce antique, symbole de liberté, le tout avec une ceinture imposante qui rappelle celle de la reine des Amazones. Nous voilà face à celle qui n’accepte pas et ne se résigne pas, Antigone en tenue de Marianne, coiffée d’un bonnet phrygien, qui sera interdit l’année suivante par le pouvoir en place. Ce bonnet n’est pas que phrygien il est aussi égyptien et porte les traces de ce mélange puisque l’on y observe les stries typiques des Nemès que portaient les pharaons égyptiens.
C’est ainsi que notre Marianne nous fait face, posée sur un socle où est sculpté l’intérieur du temple de Salomon. On peut deviner sur les côtés des branches de laurier et d’olivier. Autre particularité, elle n’a pas d’yeux, non pas qu’elle soit aveugle bien au contraire : grâce à cette technique qui remonte à la Grèce archaïque on a l’impression qu’où que l’on soit dans la pièce elle nous regarde, elle qui n’a donc pas besoin d’yeux pour tout voir. Le tout nous met face à une Marianne sage, tout en étant puissante, créolisée de tous ces apports, et révolutionnaire.
Sa première sortie publique sera le 22 septembre 1848 au cours d’un banquet républicain, puis cachée par peur des représailles par les forces réactionnaires alors au pouvoir. Elle n’est pas signée non plus, ce qui laisse un doute sur l’auteur, même si beaucoup de spécialistes s’accordent sur celui de Griffoul-Dorval. Le mystère reste entier aussi pour savoir si la statue s’inspire alors d’un modèle vivant ou imaginaire. Cette Marianne qui choque jusque dans les milieux maçonniques, va être remisée avec l’avènement du Second Empire. On n’entend plus guère parler d’elle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Un groupe de milicien surnommé la « horde sauvage » à la solde de Vichy en faisant un inventaire des œuvres d’art du secteur décide de l’outrager : elle est renversée, cassée, et l’on pense même qu’un milicien tire en son cœur où réside encore ce qui ressemble à un impact de balle.
Laissée ainsi à terre, elle est relevée par des résistants qui vont réussir à la déplacer et l’enterrer dans un jardin, rue de l’Orient. La Marianne noire entre dans la clandestinité, sous terre, elle en ressurgira bien plus tard en 1977 lorsque l’on retrouve trace d’elle dans les inventaires départementaux.
Esclave affranchie, symbole de liberté et de justice, clandestine, résistante, la Marianne noire de Toulouse est créolisée de toute son Histoire, et ses symboles.
Une sculpture qui est une ode à la Nouvelle France qui se fonde sur une Histoire commune d’émancipation et de mise en valeur de ses apports venus des quatre coins de l’horizon. Un symbole qui mériterait de siéger dans le cœur politique de la ville créolisée qu’est Toulouse, le Capitole. Si ce n’est l’original, au moins une copie.