François Piquemal

De l’eau et du réseau

« Joueuse, puérile d’obéissance, revenant tout de suite lorsqu’on la rappelle […]
Elle m’échappe et cependant me marque, sans que j’y puisse grand chose. » Tels sont les mots que trouve Francis Ponge pour saisir ce qu’est l’eau dans son recueil du Parti pris des choses.

Une nature à prendre en compte quand nous nous posons la question politique de sa gestion. Ce jeudi nous accueillons ainsi mon collègue député Gabriel Amard dans le cadre de sa tournée nationale pour la gestion publique de l’eau. Cette réunion se tiendra à 19h salle San Subra, proche du métro Saint-Cyprien, à quelques dizaines de mètres de la Garonne, fleuve à qui nous devons notre eau potable à 98% à Toulouse.

L’accès à l’eau du robinet nous semble un acte des plus banals et allant de soi, et pourtant cet accès est beaucoup plus politique qu’il n’en a l’air. Du robinet, qui implique que vous ayez un logement à vous en bon état, des canalisations qui amènent l’eau jusqu’à votre robinet, un traitement de cette eau, sans oublier la source dans laquelle elle est puisée. Le système d’approvisionnement en eau est dépendant d’un réseau mis en place par des humains qui ne sont pas désincarnés de choix collectifs ou privés concernant la manière dont ce réseau sera géré et à quel point il sera accessible.
L’eau à laquelle nous avons accès à Toulouse est un exemple type de la manière dont les réseaux structurent aujourd’hui nos villes. Les réseaux de sociabilité bien sûr, mais aussi ceux qui nous assurent l’accès aux biens les plus nécessaires comme les plus superflus.

Les réseaux sont présents partout dans nos vies et dans nos villes : réseau de transport, internet, électricité, eau, chauffage. L’accès à ces réseaux, et la question de savoir à qui ils appartiennent conditionnent nos vies et nos conditions sociales. Ils sont les points les plus sensibles, pouvant créer de la conflictualité dans la ville et révéler aussi les inégalités existantes.
À ce titre, les habitants de la métropole verront leur facture d’eau augmenter de manière nette de + 42% sous prétexte de « tarification saisonnière » de l’eau à Toulouse. Contradiction, vous me direz, avec les campagnes publicitaires de la municipalité affirmant que l’eau de Toulouse était la moins chère de France.

Pourtant, tout s’éclaire quand nous en rappelons l’historique. La réponse est dans le choix politique qu’a fait M. Moudenc en 2018 de confier la gestion de l’eau à deux sociétés privées ayant des objectifs de profits : Veolia et Suez. En 2018, M. Moudenc leur confie la gestion de l’eau et son assainissement à partir de 2020. Pour obtenir ces contrats, les deux sociétés ont fait des offres avec un prix très bas en tablant sur une augmentation de la consommation d’eau sur la métropole toulousaine liée à la croissance démographique et à un usage plus important de l’eau par les particuliers. Cette proposition visait à faire concurrence à la proposition portée par le collectif citoyen Eau Secours soutenu par les partis politiques du Nouveau Front Populaire, d’avoir une gestion en régie directe.
Régie directe signifiant un service public de l’eau à ne pas confondre avec Délégation de Service Public qui signifie que l’on délègue un service public à une société privée, ce qui a été le cas ici avec l’eau. Les offres de Veolia et Suez pour obtenir les contrats étaient tellement basses que certains les trouvaient déjà insincères à l’époque. Pour des raisons idéologiques ou autres M. Moudenc a préféré confier l’eau à ces multinationales dont le but est de faire de l’argent sur la consommation d’eau des gens.
Ayant obtenu la gestion de l’eau, les multinationales ont vu leur business plan être pris à revers par la responsabilité et la prise de conscience de la préservation des ressources en eau des habitants. Ainsi entre 2022 et 2023 la consommation a baissé de 7%, preuve de la prise de conscience sur le sujet. Une bonne nouvelle ? Pas pour Véolia et Suez qui du fait de cette baisse de consommation, que tout le monde devrait saluer, se sont retrouvées en difficulté financière.

Résumons : plus les gens sont économes en eau et font attention à la ressource, plus Véolia et Suez perdent de l’argent. Au lieu de s’en réjouir, M. Moudenc a préféré voler au secours des multinationales et faire voter à la Métropole une augmentation saisonnière de la tarification de l’eau de +42% depuis le 1er juin 2024 pendant 5 mois et la compensation par Toulouse Métropole, auprès de Véolia et Suez, des baisses de consommation qui pourraient en découler. Difficile pourtant de savoir à qui imputer une éventuelle baisse de consommation dans le futur entre l’augmentation du prix de l’eau et la volonté de préservation de la ressource. Ainsi Véolia et Suez s’assurent que les contribuables vont compenser leur manque à gagner sur les deux prochaines années.
Sur l’année 2024 c’est une cagnotte de 12 millions d’euros permettant de dédommager Véolia et Suez de la baisse de consommation en eau. On voit ici comment laisser un réseau comme celui de l’eau à des sociétés capitalistes nous met dans des situations absurdes tant du point de vue écologique que financier. Plus on est responsable et économe, plus elles essaient de nous faire les poches.
La bonne nouvelle de cette histoire c’est que le contrat avec ces deux multinationales sera rediscuté en 2026. Il sera alors prioritaire si nous sommes au Capitole de reprendre une Régie Publique directe de l’eau. Nous devons traiter l’eau sur la base de la règle bleue consistant à avoir une gestion de l’eau qui priorise les usages et se montre particulièrement alerte sur la ressource. Ainsi il faut distinguer les besoins essentiels en eau ( consommation pour se désaltérer, hygiène ) des consommations superflues comme les 5000 m3/ jour d’eau nécessaires à un golf. Le plus juste serait de permettre l’accès aux premiers mètres cube d’eau gratuite pour les besoins essentiels, puis une tarification progressive qui pourrait varier selon les revenus et usages.

Nous devons aider à rétablir le cycle naturel de l’eau, cela se joue aussi au niveau de l’imperméabilisation des sols notamment en limitant l’agriculture intensive et l’artificialisation des sols. La question du cycle de l’eau et de la préservation de la ressource est d’autant plus importante que l’on sait qu’elle détermine les risques de pollution et donc de qualité de l’eau. Cette dernière est liée à sa quantité. Plus il y a de courant dans une rivière et plus la pollution sera diluée. Au contraire, plus les débits sont faibles, plus elle se concentre. Or la Garonne a traversé ces dernières années des étiages, c’est-à-dire des baisses périodiques des eaux, particulièrement bas, ce qui favorise la présence de polluants comme les pesticides, métabolites, résidus médicamenteux, perturbateurs endocriniens et des pollutions organiques.

À défaut d’avoir aujourd’hui une politique volontariste de la part de l’État sur la réduction de ces polluants, les stations d’épuration limitent la pollution des eaux. Mais la Garonne est soumise à une autre contrainte plus inquiétante encore : le réchauffement climatique qui, avec l’augmentation de la température des cours d’eau, menace l’équilibre bactériologique. La Garonne plus chaude, pouvant atteindre à certains endroits 27° en plein été, accentue le risque d’eutrophisation et donc le développement d’algues. Une récente étude sur la Garonne à l’horizon 2050 a établi des scénarii sur le changement climatique avec des hausses de températures pouvant atteindre 3,5 °C. Ceci entraînerait une forte modification de son débit et une baisse de l’étiage pouvant aller jusqu’à 50 % des niveaux d’aujourd’hui ! Si nos stations d’épuration peuvent maîtriser les pollutions organiques et industrielles, le grand enjeu porte sur le traitement des micropolluants, qu’ils soient d’origine agricole, comme les pesticides, médicaux, avec les rejets des médicaments, ou urbains, avec le plomb des voitures es et l’arsenic. On trouve aujourd’hui près de 10 000 molécules polluantes dans la Garonne, qu’il faut réduire à la source. Cela nécessite une adaptation du modèle agricole notamment et une adaptation de nos pratiques, mais aussi une réflexion plus générale sur le traitement des déchets.

Les déchets justement, figurez vous qu’une augmentation de leur collecte chez les particuliers va avoir lieu à la demande de M. Moudenc. Encore une histoire de réseau, celui des déchets, qui influe sur nos ressources financières, mais aussi les ressources du vivant, ici celui de l’eau. Cela nécessite une adaptation du modèle agricole notamment et une adaptation de nos pratiques, mais aussi une réflexion plus générale sur le traitement des déchets.

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