Le 21 avril 2002, j’avais 17 ans lorsque sur l’écran télévisé sont apparues les têtes de Jean-Marie Le Pen et de Jacques Chirac.
Je ne sais pas vous, mais je me souviens de la sidération ambiante qui traversait alors toutes les générations. Les jours suivants, il faisait beau en France pour un mois d’avril, des manifestations partout, des concerts de mobilisation, une indignation drapée dans ses plus beaux atours, on entendait « plus jamais ça », « il faut faire barrage ». Déjà se dégageait néanmoins la problématique du « vote utile », qui sera ensuite resservi à toutes les sauces par le Parti Socialiste pendant une bonne décennie, lui permettant de ne pas prendre l’eau plus tôt, l’usant jusqu’à la corde.
20 ans plus tard, nous voici face à un nouveau second tour Macron-Le Pen, Marine cette fois, la rentière. Une nouvelle fois se désespérer de devoir faire un choix qui vous coupe le souffle. D’autant plus dur à accepter que, comme il y a 5 ans, une candidature émancipatrice de rupture incarnée par Jean-Luc Mélenchon, aurait pu être présente au Second Tour, oxygéner le débat public, et disons le : l’emporter.
Nous revoilà au point de départ, avec les mêmes appels au « barrage », mais cette fois avec beaucoup moins de vitalité, d’entrain, de conviction qu’il y a 5 ans, et encore moins qu’il y a 20 ans. L’extrême droite a gagné du terrain sur le chemin des idées et s’est banalisée. Comme dirait le rappeur Seth Gecko : “on ne combat pas le racisme avec un stylo quatre couleurs” et les leçons de morale ont montré qu’elles étaient limitées quand la transformation nécessaire de justice sociale n’a été accomplie par aucun gouvernement de “gauche” lors des deux dernières décennies.
Le “barrage” est dès lors d’autant plus dur à entendre de la part de ceux qui, dans des petites logiques politiciennes d’appareils, n’ont pas su prendre leurs responsabilités dès le premier tour, pour que l’Histoire ne se répète pas comme il y a 5 ans. De ceux qui ont joué avec le feu pour mieux asseoir leur pseudo-légitimité de rempart à l’extrême droite en reprenant ses mots sans soigner les maux à coup de Manuel Valls. Des mots tellement vallsisés que reprendre les thèmes de la bête, accuser de «communautarisme » quiconque prenant la défense d’une minorité stigmatisée, est devenu un crédo politique pour certains se disant de “gauche”.
Alors voilà, le dilemme se pose à nouveau : que faire ? Rappelons que tout notre combat s’est construit face à l’obscurantisme et la barbarie qu’a contribué à faire régner l’extrême droite dans notre pays. Marine Le Pen en est ici la fleur, certes un peu aseptisée dans ses pétales mais pas moins venimeuse en ce qui concerne sa pédoncule. Notre combat est celui contre le racisme et sous toutes ses formes, l’extrême droite étant spécialiste pour passer de l’un à l’autre au gré de l’époque, que ce soit l’anti-sémitisme ou aujourd’hui de manière plus accrue l’islamophobie.
Dans les moments de doute, il est bon de se rappeler, comme le dit Tyrion Lannister dans Game Of Thrones, que “les vieilles histoires sont comme les vieux amis, il faut savoir leur rendre visite de temps en temps”. Je ne peux que conseiller de rendre visite dans les circonstances actuelles à une amie de lecture de longue date, Annie Ernaux, à travers l’entretien qu’elle a donné à l’Express qui explique que M. Macron et Mme Le Pen sont deux dangers pour notre pays, mais pas de même nature.
Ce qu’a très bien spécifié Mathilde Panot: “En plus de la maltraitance sociale, elle (Marine Le Pen) ajouterait une haine raciste et antimusulmane.”. Car oui, le programme de Marine Le Pen, c’est aussi de la maltraitance sociale dans la lignée de Macron comme le montre bien l’ami François Ruffin dans une récente vidéo .
A l’heure du choix, je pense forcément à mes élèves qui ne portent pas les prénoms dont rêve M. Zemmour et qui risquent de pâtir fortement dans leur vie des choix politiques racistes décomplexés que prendrait une Marine Le Pen. Egalement aux habitant.e.s des quartiers populaires dont celui du Mirail, déjà fortement discriminé.e.s qui vont l’être encore davantage et privé.e.s de ressources publiques. Rappelons qu’une des mesures prévues par Marine Le Pen est l’expulsion de 600 000 personnes de leur HLM sous prétexte de leur “nationalité étrangère”.
Surtout je pense à notre Histoire, celle qui nous appris que notre pays s’était avili lorsqu’il s’est laissé prendre pour partie dans les bras de l’extrême droite durant la Seconde Guerre Mondiale, celle des réfugié.e.s espagnols de la Retirada fuyant le régime d’extrême droite franquiste. Celle qui nous rappelle que dans l’obscurité la plus vive certaines et certains étaient là pour allumer l’étincelle de la Résistance, songeons notamment à Angèle Bettini Del Rio ou encore Conchita Ramos.
Une fois ces bases rappelées, redisons le: pas une voix à l’extrême droite de Marine Le Pen. Une autre issue de court terme au Macronisme existe que le rance du camp d’extrême droite: envoyer Jean-Luc Mélenchon à Matignon pour permettre une autre politique que celle de la haine de race et celle de la haine de classe.
Pour cela nous avons une occasion à ne pas manquer les 12 et 19 juin prochains avec le Troisième Tour de cette séquence politique: les élections législatives. A Toulouse, où Jean-Luc Mélenchon a obtenu 37 % des suffrages au Premier Tour, ce serait une anomalie que, comme il y a 5 ans, aucun député de l’Union Populaire ne soit envoyé à l’Assemblée aux profits des seuls députés Macron.
Ces derniers ont montré d’ailleurs un bien piètre visage, entre ceux totalement absents, ceux se recyclant dans le lobbying agro-alimentaire, ceux pris dans les affaires qui alimentent le ressentiment sur lequel se bâtit aussi le vote d’extrême droite…
Les toulousaines et toulousains doivent pouvoir être représentés dans leur diversité politique, eux qui subissent déjà localement les décisions anti-écolo et anti-sociales d’un maire pro-Macron.
Ne nous mentons pas, l’ascension va être difficile, le sommet dur à atteindre, mais qui aurait cru il y a de cela même pas un mois que nous ferions 22% des suffrages et serions à un fil du Second Tour. Une dynamique est née, une montagne est passée, une autre apparaît dans l’horizon, mais avant cela il nous faut passer la brume qui dissimule encore son sommet, pour cela le chemin commence par être solides sur nos appuis: pas une voix pour l’extrême droite de Marine Le Pen.