François Piquemal

Une sécurité sociale alimentaire, pour quoi faire ?

Samedi dernier à Toulouse l’association Cop1-Solidarités Etudiantes inaugurait son antenne toulousaine au café associatif l’Escabel dans le quartier Arnaud Bernard. L’objectif est simple : réaliser des distributions alimentaires en dehors des campus universitaires pour que cela soit accessible au plus grand nombre de jeunes possibles. Cette initiative est salutaire pour les 300 d’entre eux qui s’étaient inscrits en quelques jours pour cette première distribution toulousaine, et encore plus pour les 700 d’ores et déjà sur liste d’attente. Ces bénévoles exemplaires répondent à l’urgence des fins de mois difficiles, palliant l’incapacité de nos décideurs à assurer les droits fondamentaux de la population.

Quoi d’étonnant, hélas, quand selon le 17e baromètre de la pauvreté et de la précarité du Secours Populaire, publié en septembre 2024, 1 Français sur 3 est contraint de renoncer à faire trois repas par jour. Ces proportions explosent chez les strates les plus précaires de la population, et a fortiori chez les jeunes. L’inanité du système actuel pousse de nombreux parents à des choix indignes de la septième puissance mondiale : un tiers sont ainsi forcés à se priver de nourriture afin de pouvoir nourrir leurs enfants. Comment pouvons-nous encore accepter ce fait comme état normal de notre société ?

L’alimentation est un besoin. Pourtant, elle est aussi une transmission. La veille de cette initiative, j’étais pour ma part en cuisine avec Saloua, spécialiste de la cuisine tunisienne qui propose des recettes sur les réseaux sociaux et partage sa passion de la cuisine et du partage. Elle m’a transmis une recette et montré comment concocter des pâtes tunisiennes à la makrouna bel salsa.

Car, oui, la nourriture est une transmission : dans la manière dont on la cuisine, dont on la mange… mais aussi la manière dont on la produit et dont on la répartit…

Du côté de l’offre, la crise agricole frappe fort et notre production est anarchique, entraînant 10 millions de tonnes de déchets alimentaires par an, soit 20 % de la production totale. Cela signifie théoriquement qu’une carotte, tomate, pomme de terre produite sur cinq sera jetée. Et alors même que les agriculteurs ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs efforts, l’agrobusiness augmente ses marges en capitalise sur ses superprofits, boostés par l’inflation.

Du côté de la demande, cette inflation couplée à la stagnation des salaires a eu des conséquences dramatiques, avec près de 7 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire, et une hausse des vols dans les supermarchés. Les Français n’arrivent plus à subsister.

La nourriture est donc une transmission, et surtout une transmission politique. Elle implique de faire des choix dictés par nos idéaux d’une société plus juste socialement et écologiquement. C’est tout l’enjeu de la proposition de loi de mon collègue Charles Fournier qui, lors de la niche parlementaire du groupe Écologiste et Social, présentera cette belle idée qu’est une Sécurité Sociale de l’Alimentation. Une proposition que le groupe LFI-NFP soutient de longue date et que nous aimerions expérimenter à Toulouse en lien avec les Caisses Alimentaires et associations locales déjà en pointe sur le sujet.

Mais dans les faits, c’est quoi une Sécurité Sociale Alimentaire ?

Elle prend exemple sur la Sécurité sociale dans la Santé, établie en 1946 par le Mouvement ouvrier et le Conseil National de la Résistance, et mondialement enviée. Celle-ci repose sur la maxime « de chacun selon ses moyens à chacun ses besoins », grâce à des cotisations de l’ensemble de la société pour alimenter une caisse de solidarité nationale.

Ce système a porté ses fruits : les plus précaires peuvent se soigner à moindre coût, même si les attaques répétées sur notre système de santé essaient de mettre à mal cette conquête sociale.

De même que la santé, l’éducation ou le logement sont des droits humains fondamentaux, l’accès à l’alimentation doit lui aussi être assuré.

L’alimentation est la première cause de mortalité dans le monde, notamment par son impact sur les problèmes de santé : diabète, cancers, obésité… Elle est également un fort marqueur d’inégalités, avec des difficultés accrues d’accès à une alimentation de qualité pour les plus précaires. Par manque de ressources d’une part, mais aussi par manque de temps et du fait de la charge mentale que cela implique de prévoir et concevoir un repas nutritionnel et équilibré.

Passer un temps de qualité dans la cuisine devient ainsi un privilège, rendu inaccessible à ceux déjà surmenés par leur rythme quotidien infernal et par les préoccupations de fin du mois.

La Sécurité Sociale Alimentaire est la réplique destinée à résoudre ces problèmes, en intégrant l’alimentation dans un système de socialisation, avec trois principes fondamentaux :

– un système universel ouvert à tous sans conditions ;

– financé par des cotisations sociales proportionnelles aux revenus ;

– des professionnel·les conventionné·es par des caisses gérées démocratiquement.

Elle cherche ainsi à adapter les quantités produites aux besoins réels de la population, par des moyens redistributifs et permettant une décision démocratique sur notre assiette.

Cette proposition de loi s’accompagne d’une expérimentation de ce dispositif, avec la mise en place d’une carte vitale créditée de 150€ par mois, pouvant être dépensée dans des lieux conventionnés démocratiquement. Ceux-ci sont amenés à se tourner vers le circuit court, la production respectueuse de l’environnement et de la santé, ainsi que la juste rétribution des producteurs dont les difficultés ne doivent pas être oubliées. À terme, un tel système pourrait également approvisionner nos cantines pour permettre une bonne alimentation de nos pitchouns, et offrir des débouchés sécurisés à nos agriculteurs. Elles pourraient également se baser sur des initiatives déjà mises en place telles que la Caissalim de Toulouse, qui réunit des organisations paysannes actives sur la métropole en lien avec les artisans et commerçants toulousains.

Voici une belle idée qui doit nous rappeler à quel point l’alimentation est un enjeu pour notre pays et notre ville de Toulouse, qui a l’opportunité de se faire première ville expérimentatrice de cette révolution alimentaire. La Sécurité Sociale Alimentaire est vectrice de transmission, de partage mais aussi de créolisation, de souveraineté et bien sûr de transition écologique.

Autant de sujets que nous aurons l’occasion de déguster dans les semaines et mois à venir.

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