Une action politique digne de ce nom doit porter l’ambition de changer la vie des habitantes et habitants. Elle porte nécessairement en elle une volonté d’inclusion et de partage du monde entre les citoyen.nes qui évoluent dans nos rues. En ce sens, il est évident que nous n’occupons pas tous l’espace public de la même manière : nous n’avons pas les mêmes contraintes, les mêmes difficultés, les mêmes urgences… ni les mêmes objectifs et les mêmes craintes. L’urbanisme doit donc tenir compte des contraintes spécifiques de chacun.e, s’il se veut inclusif. Et ce tout particulièrement pour 52% de notre population.
S’intéresser aux besoins par le prisme du genre, c’est intégrer à notre vision de la ville les différents poids qui s’exercent sur l’occupation de l’espace public par les femmes. Pour cela, il faut partir de leurs besoins.
Les femmes effectuent en journée plus de trajets à pied en ville : les bancs publics sont donc nécessaires à leur repos. Les rapports de genre leur font à l’inverse privilégier des alternatives plus coûteuses en rentrant tard le soir, préférant souvent payer un taxi/VTC plutôt que de rentrer à pied. Le rapport à l’éclairage public est donc différent. Tout cela doit être intégré : ces besoins sont matériels et quotidiens.
Là où les bancs et éclairages bénéficient à tous.tes mais sont particulièrement nécessaires pour les femmes, d’autres infrastructures sont pour leur part entièrement inadaptées. Il est effectivement plus difficile pour les femmes de se saisir des équipements sanitaires mis à disposition. Par exemple, les urinoirs publics dans les lieux fréquentés ou ceux mis en place à l’occasion de festivals sont plus simples d’usage pour les hommes que pour les femmes, pour des raisons pratiques relativement évidentes. Pourtant, la fréquence du besoin physiologique est presque 15% plus élevée chez les femmes comme l’ont montré plusieurs études : dès lors, à moins que les infrastructures ne soient spécifiquement adaptées par les pouvoirs publics, elles ne s’adressent pas aux femmes.
En novembre dernier, j’ai déposé avec ma collègue Mathilde Hignet une proposition de loi afin de généraliser l’accès aux toilettes publiques en ville. L’objectif était de fixer un seuil d’une toilette accessible pour 2 500 habitant.es. Dans une ville comme Toulouse, ce taux est pourtant de 1 pour 7 000, ce qui est trop peu au vu des enjeux couverts par la présence de ces infrastructures.
Si le fer de lance de cette initiative était la salubrité publique, l’inclusion des besoins des femmes en a pavé le chemin. On ne peut pas se plaindre de la saleté, des difficultés, des incivilités odorantes, si on ne fait rien pour remédier au problème et mettre à disposition des citoyen.nes le nécessaire pour couper court à toute recherche d’alternative. Les moyens comptent également, c’est pour cela que nous souhaitons l’aménagement de ces toilettes sous régie publique pour en assurer premièrement la gratuité, mais également l’entretien et le nettoyage réguliers. Ces points sont un barrage fréquent à l’usage des toilettes publiques déjà existantes, décriées pour leur saleté. Le but est également d’éviter la monétisation de ce service, en interdisant aux bars ou restaurants de forcer à la consommation avant d’utiliser leurs équipements. Cette véritable « taxe à l’urinoir » pèse mécaniquement plus lourd sur le portefeuille des femmes, puisque les hommes ont pour leur part plus d’équipements publics à disposition, et peuvent se rabattre plus facilement sur des alternatives inciviles.
Du fait du partage genré des rôles, les femmes expriment aussi un besoin plus élevé pour les lieux clos en intimité, ne serait-ce que pour accompagner un enfant ayant besoin de se rendre aux toilettes rapidement, ou pour changer un enfant en bas âge. À défaut de pouvoir agir directement sur le partage des tâches au sein du couple, nous pouvons collectivement les rendre plus aisées pour celles qui en assument majoritairement la charge. L’usage d’un lieu clos et propre disposant de poubelles et d’un accès à l’eau permet également de préserver l’intimité et le confort de chacune lors des menstruations, une question largement ignorée par les politiques publiques.
Cet enjeu de proximité et d’égalité se place dans la lignée des droits humains reconnus par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui proclamait en 2010 que « le droit à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Le sixième Objectif de Développement Durable des Nations Unies pour la période 2015‑2030 va également dans ce sens. Or, plus de 26 000 communes en France ne disposent pas de toilettes publiques, et les quartiers populaires sont également très mal lotis.
L’égalité des droits passe par la prise en compte de la réalité des besoins de tous.tes, tandis que l’égalité réelle se matérialise dans la sérénité de tous.tes au jour le jour. Se sentir inclus.e, c’est savoir que la ville qu’on habite n’est pas hostile à notre évolution en son sein, c’est trouver sa place dans un espace public sécurisé pour les usages que l’on est forcé d’en faire, et y trouver également des refuges pour se prémunir des difficultés quotidiennes qu’on n’a pu endiguer.
Enfin, c’est aussi sentir que les pouvoirs publics s’adressent à nous, et nous permettent de librement faire partie d’un tout. Il est donc de notre ressort de penser aux moyens par lesquels la ville peut être plus accueillante pour tous.tes en mettant en place les services adéquats à ce partage réel de l’espace public.