Le 1er septembre le compte d’information rugbystique Boucherie Ovalie commente la sélection de Bastien Chalureau après le forfait de Paul Willemse. Il mentionne le fait que le joueur suit et semble apprécier un rappeur d’extrême droite, raciste, sexiste, homophobe, tristement connu sous le nom de Millésime K.
À cette information, le compte Boucherie Ovalie rappelle la condamnation de Bastien Chalureau à six mois de prison avec sursis pour « faits de violence avec la circonstance que ces derniers ont été commis en raison de la race ou de l’ethnie de la victime ».
Suite à ce post, le compte reçoit des messages que l’on peut classer en trois catégories : ceux apprenant les faits et s’en indignant, ceux malheureusement habituels de la fachosphère insultant le compte et relativisant voire justifiant les faits de violence et ceux reprochant au compte de lancer une polémique à quelques jours du début de la Coupe du Monde qui nuirait à l’équipe de France.
C’est par les alertes de pratiquants du rugby de la première catégorie que Thomas Portes et moi-même sommes mis au courant des faits reprochés à B. Chalureau, c’est à la troisième catégorie que ce billet s’adresse.
Avant d’expliquer comment Thomas Portes et moi avons décidé de nous emparer du sujet comme parlementaires, il paraît utile d’expliquer rapidement notre rapport au rugby. Thomas Portes pourrait le faire plus longuement, mais il a joué au rugby à Agen et compte dans son univers familial et amical de nombreuses personnes jouant ou entraînant dans le rugby.
Pour ma part, j’affectionne le sport de manière générale, le foot en particulier. Je ne suis qu’amateur de rugby et pas un spectateur régulier, bien que plusieurs membres de ma famille y aient joué parfois à haut niveau et que je manquais rarement avec mon père le tournoi des 5 puis 6 nations, les Coupes du Monde et les exploits du Stade Toulousain, ce qui est toujours le cas aujourd’hui.
C’est donc en tant qu’amateurs de rugby que nous attendons cette Coupe du Monde avec impatience, c’est en tant qu’amateurs de rugby, citoyens et parlementaires que nous souhaitons que l’événement et notre équipe de France portent des valeurs qui puissent être les plus rassembleuses et inclusives possibles, comme nous avons les mêmes attentes vis-à-vis des autres disciplines sportives.
En ce sens, dès le 5 avril dernier en Commission parlementaire, j’ai interrogé M. Michel Cadot, délégué interministériel aux grands événements sportifs internationaux, M. Alexandre Martinez, président par intérim de la Fédération française de Rugby, et M. Jacques Rivoal, président du GIP France 2023 au sujet de l’organisation de la Coupe du Monde sur un certain nombre de points : trafic de places, tarification sociale, privatisation de certaines activités, non-respect du code de l’environnement, protection des supporters et lutte contre le racisme, déjà, via notamment un hommage à Federico Aramburu.
Pour rappel sur ce dernier point : à Paris, le samedi 19 mars 2022, une bagarre éclate à 6h au bar le Mabillon suite à l’intervention des ex-rugbymen Shaun Hegarty et Federico Martin Aramburù à propos d’une remarque raciste exprimée par Loïk Le Priol et Romain Bouvier, deux militants d’extrême- droite membres du Groupe Union Défense (GUD). Quelques minutes après s’être séparés, ces derniers sont revenus armés et ont assassiné Federico Aramburù.
En sa mémoire, nous avons travaillé cet été avec Thomas Portes et des acteurs du rugby à une tribune et pétition demandant à ce qu’un hommage soit rendu au joueur argentin via une minute de silence lors du match d’ouverture et/ou d’Angleterre-Argentine. Cette tribune est sortie le 31 août sur le journal Politis, seul journal se montrant intéressé par celle-ci. Elle a toutefois rencontré un écho important en Argentine, pays du joueur, et a recueilli près de 2000 signatures.
Cette tribune suit donc une première intervention en commission et une question écrite du 16 mai 2023 de Thomas Portes à la Ministre des Sports. A chaque fois nous interrogeons plus largement sur les actions mises en place par la Fédération concernant le racisme.
C’est après avoir effectué toutes ces demandes, sans réponses concrètes à ce jour, que nous apprenons le lendemain de la publication de la tribune les faits reprochés à B. Chalureau. Rappelons sommairement ces derniers : B. Chalureau a été condamné à six mois de prison avec sursis pour « faits de violence avec la circonstance que ces derniers ont été commis en raison de la race ou de l’ethnie de la victime » le 31 janvier 2020 sur deux autres anciens rugbymen du bassin toulousain : Nassim Arif et Yannick Larguet, ce dernier comptant 8 jours d’ITT.
Les deux victimes expliquent que l’agression a été accompagnée d’insultes racistes « bougnoules », que le jugement confirme. Depuis B. Chalureau reconnaît les faits de violence mais nie ceux de racisme et a fait appel. Il bénéficie donc de la présomption d’innocence et la Justice doit trancher dans cette affaire prochainement (tout de même plus de trois ans après les faits ce qui mériterait un autre débat sur les moyens accordés à l’institution judiciaire…).
De la même manière, les victimes méritent qu’on leur accorde une présomption d’empathie et de solidarité, à fortiori quand leurs dires sont confirmés par une première décision de Justice aussi limpide.
Dans ce contexte, il est légitime que sa sélection pose question comme s’en sont confiés récemment d’anciens joueurs comme Thierry Dusautoir et Pierre Rabadan. C’est ce que nous avons soulevé auprès de la Ministre des Sports avec Thomas Portes en proposant deux choses : « Dans ce contexte il nous paraît judicieux que la non-sélection de Bastien Chalureau soit envisagée sérieusement. Une autre possibilité étant que le joueur et la Fédération annoncent publiquement qu’ils sont prêts à un engagement fort et sur le long terme contre le racisme à travers différentes actions comme des stages de sensibilisation auprès du jeune public. »
Ce qui nous semblait une préoccupation légitime à relayer en tant que parlementaires soucieux de la lutte contre le racisme est devenue une affaire de laquelle même le Président s’est mêlé. Une affaire amenant B. Chalureau à s’exprimer enfin sur le sujet depuis sa première sélection en équipe nationale, lui qui avait été mis à pied du Stade Toulousain, club qui avait eu dans ce contexte une attitude exemplaire, au lendemain de l’agression, avant de rejoindre Montpellier. Là-bas selon son entraîneur de l’époque, Xavier Garbajosa, et le joueur lui-même il avait amorcé un changement de comportement.
Lors de cette prise de parole, B. Chalureau assure qu’il n’est pas raciste, qu’il nie les faits de racisme qui lui sont reprochés, que tout cela affecte ses proches et sa famille. On veut le croire. En attendant le verdict du prochain procès, on peut espérer que l’homme ait changé comme le joueur l’a fait. Nul n’est parfait, l’auteur de ces lignes en premier, chacun a droit à une seconde chance, d’évoluer, de s’améliorer. Bastien Chalureau a fait ce qu’il devait faire : s’exprimer publiquement pour faire preuve de sincérité et lever les ambiguïtés sur son état d’esprit actuel. De la même manière que l’on reste solidaire évidemment de Yannick Larguet et Nassim Arif présumées victimes de l’agression survenue le 31 janvier. Le futur procès tranchera les faits.
Quoi qu’il en soit, la prise de parole de B. Chalureau aurait dû avoir lieu dès sa première sélection dans le XV de France le 12 novembre dernier, et c’est la Fédération qui devait l’organiser en lien avec le joueur, étant donné son passif.
Ceux qui nous reprochent aujourd’hui de s’interroger publiquement sur la sélection d’un joueur avec une telle condamnation à quelques jours de la Coupe du Monde doivent se rappeler de plusieurs choses. Premièrement les alertes ne sont pas venues de nous mais d’acteurs du rugby, deuxièmement nous ne sommes pas au courant du passé de tous les joueurs sélectionnables dans le XV de France de même que celui de l’ensemble des athlètes français. Troisièmement la lutte contre le racisme, sa prévention et les actions volontaristes doivent tout autant être l’œuvre de toutes les Fédérations sportives, dont celle de rugby, qui par son silence sur le passé du joueur n’a ni rendu service à ce dernier, ni à l’équipe dont des joueurs ont été victimes de commentaires racistes en mars dernier, ni à la lutte anti-raciste.
Qu’ont fait ceux qui étaient au courant pour désamorcer les soupçons qui pesaient sur le joueur lors de son arrivée en équipe de France ? Le silence en espérant que l’affaire ne ressurgirait pas ?
Car mettons les pieds dans le plat : le rugby, n’est pas le sport le moins épargné par les affaires de racisme, c’est le moins qu’on puisse dire. Prenons juste quelques faits advenus sur ce début d’année 2023 :
Le 10 janvier, Bakary Meïté entraîneur du Rugby Entente Cabardès (REC), club audois de Régionale 2, révèle s’être fait traiter de « mangeur de bananes » par son entraîneur adjoint.
Le 22 janvier Cheikh Sana joueur du Boucau-Tarnos Stade (BTS), Fédérale 2, se fait traiter de « sale noir » par des supporters d’une équipe adverse. Ce n’est pas la première fois que cela lui arrive.
Le lendemain 23 janvier Alexandre Cretu international roumain qui évolue à Quillan-Limoux, dans l’Aude se fait aussi traiter de « sale noir » à plusieurs reprises par un joueur adverse en plein match de Fédérale 3. « Autour de moi à part quelques coéquipiers, personne n’était choqué. Je regrette que l’arbitre ou l’officiel ne m’ait pas calmé en me disant qu’ils s’en occupaient et que c’était grave. »
Le 11 mars Romain Taofifenua est l’objet d’un commentaire raciste après avoir posté une photo avec ses coéquipiers Reda Warbi, Peato Mauvaka, Sekou Macalou et Sipili Falatea : « Aucun ne ressemble à un Français. C’est pareil dans le football. » Trois des joueurs réagissent publiquement rappelant que « la lutte contre le racisme est le combat de tous. Il ne faut jamais lâcher ».
Le 30 mars Kemueli Lavetanakoroi, joueur de Chambéry est l’objet d’insultes racistes de la part de supporters adverses.
Le 21 mai Théo Chéa, arbitre de rugby, se fait insulter par des supporters en plein match: “sale chintok“, “espèce de chinois“, “ici c’est pas la Chine, t’as qu’à ouvrir les yeux“. Ce n’est pas la première fois qu’il est l’objet de racisme ou qu’il en est témoin : « un joueur, de couleur, s’était fait traiter de “Kirikou” pendant la rencontre. J’avais arrêté le match et demandé au président d’expulser le supporter du stade. Derrière, ce dernier m’avait traité de “sale chintok“.
On pourrait y ajouter les nombreux commentaires racistes attaquant la récente publicité Adidas qui met en scène une jeunesse issue de tout le pays avec des joueurs de l’équipe de France, banlieue comme province, afin de célébrer cette discipline : “On ne veut pas de racailles au rugby, qu’ils ne viennent pas tout gâcher comme au foot. Et puis de toute façon c’est des pleureuses“, “Ça y est ils ont viré woke comme Nike. S’il vous plaît cassez-vous du rugby, il a pas besoin de vous“, “Le nouveau rugby sera sans blancs visiblement“, “Ça pue l’extrême gauche ce clip” ou encore “On n’a pas forcément envie que l’équipe de France de rugby devienne l’équipe de football“, “Y a beaucoup de noirs quand même, non ?“, et même “Vous nous pétez les c*uilles avec vos cités et la diversité, on aura plus le droit à rien sans devoir y goûter“.
Classique hélas de la part d’une fachosphère ramenée à la réalité multiculturelle du XV de France, issu des campagnes et des banlieues. Pour autant, cela ne doit pas nous laisser banaliser ce racisme de plus en plus décomplexé. Comme l’a rappelé de manière brillante la journaliste de l’équipe Chrystelle Bonnet, le racisme et l’extrême droite tuent, cela a été le cas avec Federico Aramburu.
Et quand le racisme ne tue pas, il peut affecter profondément les personnes qui en sont victimes comme le raconte très bien Bakary Meïté après les faits qui lui sont arrivés: « J’ai moi-même du mal à la décrire. Je suis épuisé. Physiquement et mentalement. Mais comme souvent, j’écris pour me soulager. Je remercie toutes les personnes qui m’ont d’ores et déjà apporté leur soutien. J’ai juste envie d’oublier. Même si je sais que ça m’est impossible. »
Dès lors, comment ne pas comprendre dans ce contexte que la sélection d’un joueur condamné en première instance pour agression raciste puisse émouvoir ceux qui en ont fait l’expérience ou qui sont sensibles à cette cause ? Comment penser que toute la France puisse soutenir le joueur sans que le doute n’ait été levé ?
Ceux qui nous réclament le silence au nom d’une sacro-sainte union nationale derrière l’équipe de France de rugby, devraient comprendre qu’il n’y pas de « bon timing » pour s’indigner du racisme, comme de toute forme de discrimination.
Comment défendre les « valeurs » du rugby quand on ne fait pas de l’intégrité des personnes victimes de racisme, une priorité absolue ? Quand on ne veille pas à ne pas blesser toutes celles et ceux qui l’ont été ? Un des marqueurs de la dérive des Fédérations sur lesquelles nous avons lancé une commission d’enquête menée par ma collègue Sabrina Sebaihi, c’est qu’un certain nombre de faits inadmissibles le sont au nom de la performance, au nom de la sacralisation d’un objectif sportif qui permet de tout justifier, parfois le pire : racisme, VSS, violences en tout genre.
Il n’y pas de « timing » pour entendre Bakary, Cheikh, Alexandre, Romain, Reda, Peato, Sekou, Sipili, Kemueli, Théo, Yannick, Nassim, les soutenir et leur dire que le racisme ne doit pas avoir sa place dans le rugby. Le dire et agir.
Sur ce dernier point, le nouveau président de la Fédération de Rugby, Florian Grill a déclaré : « Dès lors, notre position est claire : si les propos ont effectivement été tenus et que c’est reconnu par la justice, c’est inacceptable et nous les condamnons fermement. Ils n’ont pas leur place sur un terrain de rugby et nous combattons au quotidien les faits de racisme dans notre sport. Mais dans la mesure où le joueur nie ces propos et qu’il a fait appel, il y a travail de justice qui est en cours et qu’il convient de respecter. »
Dont acte. On regrettera que la prise de parole de B.Chalureau n’ait pas été accompagnée par la Fédération d’une explication sur la manière dont elle combat au quotidien les faits de racisme, et plus encore comment elle sensibilise dès le plus jeunes âge à ces questions pour éviter les incidents réguliers qui émaillent certains matchs.
Une question qui reste ouverte, comme d’autres, et que nous aborderons dans le prochain colloque « Un autre rugby est possible » que nous allons organiser avec mon collègue Thomas Portes dans les murs de l’Assemblée Nationale.
D’ici là on espère le meilleur pour l’équipe de France de rugby, sur le terrain et dans les valeurs.