Choisy-Le-Roi, quartier des Navigateurs, jeudi 11/05/23

Où il est question de Christophe Colomb, d’une halle et d’un truc curieux appelé la résidentialisation.

Les quartiers que nous visitions au cours de notre tournée Allo Anru ont parfois des noms étonnants ou évocateurs. Nous voici dans celui des Navigateurs, à 20 000 lieues de la mer pourtant pour le dire comme la très belle chanson du groupe La Rumeur, mais qui a donné à ses immeubles des noms navigateurs, explorateurs des « Grandes Découvertes », Christophe Colomb. Marqueur d’une autre époque où l’Histoire globale ou connectée était ignorée. Une époque où appeler un ensemble d’immeubles par des noms uniquement masculins était la norme. 

Les Navigateurs donc, Choisy-Le-Roi, Val de Marne dans la circonscription de ma collègue LFI-Nupes Clémence Guetté qui m’y accueille avec les militants locaux. Le quartier a été bâti en 1962, dans le courant des grands ensembles qui ont parsemé le pays. Il fallait reloger ceux mal-logés après la Seconde Guerre Mondiale, ceux venus d’Afrique du Nord et d’ailleurs encore. Classique. 

Le quartier a été visité en 2020 par la Ministre du Logement de l’époque Mme Wargon et présenté comme un modèle de renouvellement urbain à l’époque[1]. De quoi aller voir de plus près.

Choisy-Le-Roi est une ville qui a bénéficié du communisme municipal jusqu’à 2020 où la ville est passée à droite. Le premier ANRU arrivé au début des années 2000 a été effectué selon les habitants présents avec une concertation sérieuse. Celle-ci semblait avoir l’assentiment de la population, et même si cela ne peut être exhaustif, les habitants que je rencontre sont beaucoup ceux qui vivaient dans les logements démolis suite au premier ANRU, ce qui n’est pas tout le temps le cas des autres quartiers visités et montre que leurs vœux de rester a été certainement respecté.

Malgré le premier ANRU, le quartier est concerné par l’ANRU 2 (le NPNRU). Le site de la Mairie de Choisy nous informe ainsi que si le bâtiment Christophe Colomb sera réhabilité, ceux de Champlain impair et Cartier seront eux démolis (190 logements au total). Quant à ceux de Magellan, Champlain pair, Cavalier de La Salle et Dumont d’Urville « la réflexion est en cours »[2].  Cette expectative sur le devenir des bâtiments concernés par la rénovation urbaine est souvent de mise et plonge partout les habitants dans l’incertitude de leur installation dans leur logement, mais aussi dans leur quartier et dans leur ville. Une sorte de déterritorialisation par un horizon incertain, qui s’ajoute à celle des conditions de salariat d’aujourd’hui, que l’ANRU fait aussi peser souvent sur les habitants.

Ces projets de rénovations visent plusieurs objectifs dont celui de « renforcer les commerces et activités » toujours selon la Mairie de Choisy. Sur la place où nous nous trouvons avec les militants et Clémence, une grand halle marchande, construite il y a peu symbolise cette volonté.

Problème : lorsqu’avec Clémence nous interrogeons les habitants pour savoir si ces halles fonctionnent et sont utilisées, beaucoup d’entre eux nous répondent par la négative. En effet, les halles ne reçoivent que peu de commerçants, sont ouvertes tout au plus deux jours par semaine et les prix appliqués y sont souvent trop élevés. Résultat : c’est le Lidl qui a ouvert récemment qui se taille ici la part du lion. Ces halles sont l’exemple d’un équipement pensé pour faire venir une population plus aisée que celle vivant dans le quartier mais qui échoue à fonctionner dans et en dehors du quartier. C’est aussi une des impasses de la mixité sociale annoncée par les collectivités qui se traduit dans l’offre commerciale et les politiques de logement. Ici la Mairie de Choisy qui explique « proposer de nouveaux logements sociaux à louer et permettre l’accession à la propriété à coût maîtrisé pour favoriser la mixité. ». Sauf que si des logements à l’accession sont bien présents, une part non négligeable d’entre eux a été acheté par des investisseurs locatifs, et les petits propriétaires occupants que je rencontre se plaignent de la dégradation des immeubles qui ont pourtant moins de dix ans.

Ces immeubles sont intéressants car ils ressemblent à tant d’autres vus durant notre tournée. Ils sont la traduction d’un autre objectif affiché par la Mairie de Choisy qui est de « concevoir un urbanisme à échelle humaine ». Cette volonté, derrière laquelle on conviendra que l’on peut mettre tout et n’importe quoi, s’incarne par un certain nombre d’immeubles qui nous entourent sur la place. Fini les grands immeubles aux noms de navigateurs, en voici qui ne dépassent pas les 4 ou 5 étages. 

Ces immeubles sont archétypaux de cette mode urbanistique que l’on retrouve dans de nombreux quartiers de la rénovation urbaine : la résidentialisation. Celle-ci avec ses immeubles bardés de barrières et de digicodes vise à donner l’impression aux habitants que leur habitat est mieux contrôlé, tout comme d’ailleurs l’espace public. C’est une réponse urbanistique à la question de l’insécurité qui était charriée par l’ANRU.

En effet souvenons-nous que l’ANRU avait plusieurs objectifs dont celui de changer l’image des quartiers, et dans cette image celle de lieux dits de « non-droits » et leurs épisodes de « violences urbaines » y étant souvent associés. 

La chercheuse Camille Gosselin l’explique très bien dans un article paru sur le site internet Métropolitiques[3]. La résidentialisation s’appuie sur le concept de « prévention situationnelle ».

Venu de Grande Bretagne, « il part du principe que la situation, c’est-à-dire le contexte physique et environnemental du délit, est déterminant dans le passage à l’acte du délinquant. En France, sa traduction devient une orientation majeure de la politique de prévention de la délinquance. Elle cible l’architecture et l’aménagement comme facteurs influant sur les comportements déviants et cherche à réduire les vulnérabilités des espaces afin de supprimer les occasions de commission d’actes délictuels. »

Elle explique dans son article que pour le PNRU de l’ANRU la résidentialisation est devenue l’alpha et l’oméga de l’habitat, la taille des bâtiments, leurs structures se veulent des opposés des « grands ensembles ». 

Cette politique urbanistique est aussi parfois souhaitée par les habitants eux-mêmes qui voient, tout au moins au début, ces immeubles comme la représentation d’une ascension résidentielle, intermédiaire avec la petite maison individuelle, objectif final de ce parcours. Ils paraissent aussi apporter davantage de sécurité et répondre à un mode de vie plus individuel, moins exposé aux relations et interactions de voisinage à grande échelle.

Pourtant il est légitime de s’interroger sur les effets réels de la résidentialisation sur la sûreté des personnes. Car ces programmes qui se développent partout ne semblent pas endiguer le trafic de drogue par exemple qui a tendance à se mouvoir selon les aménagements du quartier, voire tout simplement à s’implanter dans de nouveaux quartiers.

Des questions résumées de manière limpide par Camille Gosselin : « Avec la résidentialisation et les ESP, la rénovation urbaine participe ainsi à la diffusion en France d’une approche situationnelle de la prévention de la délinquance, en puisant dans ses éléments de doctrine des principes de « l’espace défendable ». 

La mise en œuvre de ces principes ne va pourtant pas sans soulever certaines interrogations. D’une part, si cette théorie met les résidents au cœur de la surveillance et du contrôle de leurs quartiers, la rénovation urbaine n’a pas initié de cadre pour soutenir les habitants dans l’appropriation de leurs lieux de vie, ni créé les conditions de leur participation à la surveillance de leurs quartiers. 

D’autre part, la prévention situationnelle et sa traduction française dans l’aménagement soulèvent la question de l’évolution des politiques nationales de sécurité. En travaillant principalement sur les manifestations de la délinquance, et non sur ses causes sociales, elle risque, en effet, d’aboutir davantage à une normalisation de l’espace urbain et des modes d’habiter qu’à un traitement en profondeur des enjeux de prévention de la délinquance. »

A Choisy-Le-Roi comme ailleurs, le bilan de la résidentialisation au niveau du bâti, et du bien vivre des habitants mérite, comme l’ANRU, d’être dressé. Dans ses Cahiers de Prison, Gramsci expliquait que le « sens commun » se formait par divers éléments de la société : l’éducation, l’opinion publique, la culture, mais aussi l’urbanisme. Se préoccuper de ce dernier, moins médiatisé que les précédents, c’est aussi se préoccuper de mode d’habiter, et de vivre ensemble. 

Nous devons s’atteler à réfléchir dès aujourd’hui celui de demain pour répondre à notre projet de société, l’avenir en commun à l’aune de la planification écologique et d’une politique partant des besoins. Un urbanisme en commun en somme. 

[1] https://www.leparisien.fr/val-de-marne-94/a-choisy-le-renouvellement-urbain-presente-en-modele-03-12-2020-8412170.php

[2] https://www.choisyleroi.fr/citoyennete/ambitions-interventions-quartier-navigateurs/

[3] https://metropolitiques.eu/La-renovation-urbaine-et-le-modele.html

Strasbourg, le 20 avril 2023

Jusqu’ici La Meinau c’était surtout un stade de foot que faisait vibrer des joueurs qui ont le parfum de mon enfance et des vignettes panini : Alexander Mostovoï, Pascal Nouma, Marc Keller.

Pourtant la Meinau n’est pas qu’un stade de foot, c’est aussi et surtout un quartier populaire de Strasbourg où je me suis rendu le 20 avril dernier à l’invitation de mon collègue Emmanuel Fernandes, avec qui je siège en Commission Défense, oui attention ça rigole pas.

Nous sommes jeudi, et c’est jour de marché, beaucoup de monde le long des étales. Le quartier, sa dimension, ses immeubles, son marché me font vraiment penser à celui de Bagatelle à Toulouse qui est l’un de ceux du Mirail.

C’est dans cet environnement familier que je vais rencontrer des habitants, y compris des militants d’associations de locataires dont Hmida Boutghata qui a fondé l’association de locataires strasbourgeoise ALIS. Devant le très beau jardin inter-religieux qui fait la particularité de la Meinau nous échangeons avec Hmida et Emmanuel les limites de l’ANRU, qui font écho à celles rencontrées dans d’autres quartiers. Des gens qui doivent quitter leur quartier mais sans avoir de garantie sur le loyer ou la taille de leur futur logement.

La démolition d’immeubles de grande taille remplacé par des plus petits marqués par la résidentialisation, procédé urbanistique sur lequel je reviendrai dans un prochaine billet. Un autre problème que j’avais observé à Villiers-Le-Bel lors de ma visite avec Carlos Martens-Bilongo c’est le travail bâclé au niveau des travaux dans beaucoup de nouveaux bâtiments. Les grosses sociétés du BTP sont parfois peu regardantes de la qualité du bâti et la puissance publique semble être défaillante à faire respecter ces travaux.

Pour autant dans ce billet, je vais surtout vous livrer l’échange que j’ai eu avec deux élus de la ville et de la Métropole strasbourgeoise ( attention on parle d’Eurométropole à Strasbourg). Nathalie Jampoc-Bertrand, adjointe de la commune de Schiltigheim et Vice-Présidente de l’Eurométropole pour le Renouvellement urbain, Benjamin Soulet est lui adjoint à l’Equité territoriale et la « politique de la ville » de la municipalité de Strasbourg.

Un entretien très riche où l’on apprend que finalement l’ANRU et la rénovation urbaine sont quand même un peu machistes.

« François Piquemal : Avant d’être député, j’ai été militant au Droit Au Logement pendant 10 ans où j’ai été amené à m’intéresser de près à la rénovation urbaine. Il se trouve que cette année on fête ou l’on commémore c’est selon, les 20 ans de l’ANRU, l’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine.

A cette occasion nous avons entamé un travail avec mon collègue Charles Fournier, député EELV-Nupes de Tours, qui lui va travailler particulièrement à la démocratisation de l’ANRU. De mon côté je m’intéresse surtout au bilan dans tout ce que l’ANRU a pu toucher sur les questions de droit à la ville.

C’est comme cela que nous avons lancé la campagne Allo ANRU avec mes collègues pour avoir selon les endroits des retours des habitants, associations, élus. Nous espérons pouvoir continuer ce travail en obtenant une mission d’information à la Délégation de la Collectivité Territoriale.

Je suis donc très content de pouvoir vous rencontrer et j’ai une première question simple : comment vous faites en tant qu’élus locaux avec l’ANRU ?

Nathalie Jampoc-Bertrand : Moi j’ai une première question, tu dis est ce qu’il faut le fêter ou le commémorer ? Pourquoi tu nous dis ça ? Nous on est élus sur la politique de la ville depuis 2020, donc c’est des programmes dont on hérite dont les conventions ont été signées en mars alors qu’on arrive en juillet. C’est aussi comment tu t’empares de cet héritage dans les marges de manoeuvre très contraintes de l’agence, comment tu l’optimises en fonction des priorités de ton mandat. Pour nous aussi c’est un questionnement, c’est pour ça que je te questionne en retour.

François Piquemal : Si on fait un historique sur la rénovation urbaine, c’est quelque chose qui a quasiment toujours existé. Au sortir de l’après-guerre deux visions vont néanmoins se faire face. Celle de droite qui tend à faire accéder à la propriété massivement, et celle de gauche qui vise à l’équilibre de logements sociaux à l’échelle des communes qui donneront la SRU, et un dernier reliquat avec la loi Alur.

Cependant un consensus se crée petit à petit chez les décideurs politiques qui est d’associer la question des grands ensembles à celle de la mixité sociale et finalement l’ANRU vient synthétiser cela sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo. Dans les objectifs attendus il y a la résorption de la paupérisation des quartiers par des programmes d’urbanisme de démolition/reconstruction permettant de requalifier les quartiers et d’amener une mixité sociale qui aiderait tout à chacun à vivre dans des quartiers de meilleure qualité.

Pour ma part je dis « fêter » un peu ironiquement, car le bilan semble plutôt critique, car dans les quartiers où je me rends quand je pose les questions suivantes : y a-t-il moins de précarité, moins d’insécurité ? Davantage de services publics ? les réponses sont très généralement négatives. Les problèmes n’ont pas disparu depuis 20 ans ou alors ils ont été déplacés dans un autre quartier. Pour autant ce que je peux observer tout de même c’est que l’ANRU peut être vécu de manière différente par les habitants concernés.

Benjamin Soulet : Pour réagir, je suis géographe de formation et longtemps j’ai travaillé à la Ville pour diagnostiquer ces inégalités entre quartier et désormais j’ai une casquette d’élu à la politique de la ville mais plus largement à l’équité territoriale.

 Je tiens à cette délégation car elle part d’un constat, lorsque l’on a construit la campagne électorale, que l’on a un territoire strasbourgeois avec d’énormes inégalités et des enjeux sociaux énormes. On croit souvent que Strasbourg est une ville riche mais on a 26% de taux de pauvreté, on a des écarts entre quartiers de 1 à 20 dans l’accès aux études supérieures, de 1 à 7 entre revenu fiscal, et en plus des gens qui concentrent des difficultés socio-économiques, dans des quartiers sous-dotés en service public, en matière de mobilité.

Emmanuel Fernandes : Sur ma circonscription c’est un jeune sur trois en dessous du seuil de pauvreté.

Benjamin Soulet : On s’est dit qu’à partir de ce constat on avait quelque chose à faire, mais eu delà de la politique de la ville et dans un effet d’entraînement. Mon rôle c’est qu’avec tous mes collègues on réoriente nos investissements, on a territorialisé notre plan pluriannuel d’investissement en regardant les 15 années dernières années.

Par exemple, le quartier Elsau c’était 3 millions d’euros d’investissement, un quartier riche comme Robertsau c’était 24 millions d’euro. Des écarts de 1 à 8 par habitant dans la même ville. Avant il n’y avait pas de lecture d’équilibre à l’échelle communale. Pour nous l’équité territoriale ne doit pas être cantonnée aux crédits spécifiques de la politique de la ville ou de l’ANRU, mais doit se traduire dans toutes les politiques. L’ANRU doit être vue comme une brique d’une action globale, car le seul ANRU ne répondra jamais aux enjeux de ces territoires-là.

L’ANRU a été pensé dans un cadre spécifique, qui n’a plus cours aujourd’hui.

L’idée c’était de démolir des immeubles qui avaient un dysfonctionnement social ou urbain. Selon moi on devrait se concentrer sur des vrais dysfonctionnement et non des réflexions du type « on va démolir ce bâtiment parce que ça va permettre une ouverture architecturale derrière l’école ». Il faut revenir vers le quotidien, la gestion urbaine de proximité, pas que le logement mais tous les équipements. On se dit souvent avec Nathalie sur des choses concrètes : on a la question de la lutte sur les déchets, la prolifération des rats par exemple.

Le vrai ANRU quelque part c’est de faire du logement social à l’Orangerie, le quartier le plus aisé de Strasbourg là où il y en a 0%, c’est de l’ANRU inversé. Il faut aussi interroger l’attribution des logements sociaux dans un meilleur équilibre du territoire.

Nathalie Jampoc-Bertrand : Souvent on parle de l’ANRU car c’est la partie la plus visible de la politique de la ville. L’ANRU c’est peut-être l’opportunité de faire ensemble, et pas seulement de la rénovation du bâti, mais travailler sur les équipements dans leur ensemble, et ça je trouve que la ville de Strasbourg a bien misé là-dessus : des écoles de qualité, redensifier les équipements. Tout ça c’est un bilan positif de la modification du cadre de vie, redynamiser les commerces de proximité. Penser le quartier résidentiel tel qu’il doit être avec des services de proximité, une mairie de quartier qui fonctionne, des maisons de santé, un centre médico-social. Réinvestir la partie service public, faire la ville ensemble.

Dans les années 60 on construit, dans les années 2000 on démolit avec l’ANRU, et sans doute la vérité se niche t-elle ailleurs, et sans vouloir en faire une vision genrée, c’est quand même une histoire d’hommes : c’est des grands architectes qui vont penser la ville mais pas le quotidien.

Or le quotidien repose majoritairement sur les femmes, et on ne retrouve pas ça dans l’urbanisme. On dit aujourd’hui qu’il faut des espaces où hommes et femmes se sentent en sécurité mais qui les pensent ces espaces ? En majorité ils l’ont été par des hommes, pour des hommes. Penser l’ANRU à l’aune du quotidien ce serait le penser pour les habitants et les habitantes. Il faut repenser l’ANRU aujourd’hui à l’aune d’un autre état du monde, y compris du point de vue environnemental.

Ce que je trouve intéressant avec l’ANRU c’est le levier que l’on a de transformation. On a vu comment on vit le quartier l’été, avec la chaleur. Avec l’ANRU on a quand même des leviers pour agir là-dessus, plus que dans les budgets communs du reste de la ville. On a travaillé avec une association qui s’appelle Urban Water: comment on infiltre mieux l’eau dans les quartiers, comment on déconnecte les eaux usées pour les réinvestir directement dans le sol. Il y a des choses qui sont accélératrices grâce au financement de l’ANRU si tu le souhaites. Idem pour les enjeux éducatifs et de participation.

Sur cette dernière question nous on ne veut pas juste faire parler les gens, ils faut qu’on soit en capacité de répondre à leurs attentes, ce que disait Benjamin : on peut avoir les meilleurs plans de la rénovation urbaine si la capacité des bailleurs se heurte au quotidien : rats, punaises de lits, poubelles qui débordent, ça ne va pas.

Il faut sortir de cette posture très forte des architectes et des urbanistes qui dessineraient la ville pour descendre dans le quotidien des gens. Voilà un des enjeux de l’ANRU, la proximité, le cadre de vie au quotidien, les îlots de fraîcheur, le vieillissement de la population, et la place des jeunes dans la ville. Ce jeune qu’on veut partout mais pas en dessous de chez soi.

Benjamin Soulet: l’ANRU c’est un objectif de rééquilibrage des déséquilibres urbains mais en rien une lutte contre la question de la pauvreté.

Nathalie Jamboc-Bertrand : Il faut questionner la fatalité urbaine. Un quartier riche l’est t-il pour toujours ? La rénovation urbaine c’est un de ces outils de ce questionnement.

François Piquemal : Quand vous arrivez aux affaires, vous me dites que les programmes ANRU étaient déjà lancés, avez-vous pu les renégocier ou en relancer de nouveaux ?

Nathalie Jamboc-Bertrand : Oui on a renégocié pour avoir plus de financement des équipements publics : écoles, gymnases. On a répondu à des appels à projet « Cités fertiles » pour de l’agriculture urbaine, on a été choisi dans « Quartier Résilient » sur la question de l’eau. On a obtenu des aides à la pierre, et comment on optimise au niveau des bailleurs excellence en rénovation thermique, les balcons, la qualité de l’habitat.

Benjamin Soulet : On co-pilote deux cités éducatives et une cité de l’emploi où on est partenaire également.

François Piquemal : Comment s’est déroulée la renégociation, cela a été compliqué?

Nathalie Jamboc-Bertrand : Non ça ne l’a pas été, c’était avant l’inflation il faut dire. Alors qu’aujourd’hui on voit les effets du Covid et de l’inflation on sent que la machine est en train de se gripper. Est-ce que l’on continue à avoir des programmes ambitieux pour les quartiers populaires dans un contexte compliqué ?

La rénovation d’un appartement a pris 25% au niveau du prix, alors qu’on a beaucoup de logements qui sont des passoires. L’isolation phonique est aussi un sujet important.

La qualité de l’habitat est aussi exangüe à cause du manque de moyens du secteur HLM.

Benjamin Soulet : C’est vrai que Paris a une oreille attentive vis-à-vis de l’Eurométropole de Strasbourg car on a une bonne image de projets de qualité, de tenir les calendriers, d’être ambitieux et on a une culture du territoire au sein de l’administration. L’ANRU c’est 1 milliard d’euros, c’est le plus grand projet urbain de l’Eurométropole  et il faut qu’il soit porté au sein de la « maison ».

Maintenant on a une équipe structurée, avec des moyens humains, et ça ça peut varier d’une agglo à l’autre. Il faut que ce soit porté en interne dans la municipalité et la métropole. Cela nous permet de bien planifier et d’éviter d’avoir des mauvaises surprises au niveau des autres services.

L’important c’est aussi comment on fait avec les habitants. Y compris ceux qui veulent rester dans leur territoire mais souhaitent avoir une ascension résidentielle dans celui-ci. Parfois il y a une injonction aux habitants à participer que n’auraient pas ceux d’autres quartiers.

On transforme ces quartiers avec eux donc on est redevable. A Strasbourg on a essayé d’innover sur les assemblées de quartier, avec des formats d’ateliers, mais on a les injonctions du cadre national : « on a nos Conseils Citoyens », alors que nous on nos instances, on a une direction de la participation citoyenne, on a 20 assemblées de quartier sur la ville, et on a du mal à articuler avec les attendus étatiques.

Emmanuel Fernandes: On a eu des gens qui nous ont fait part de leurs inquiétudes : « je dois quitter le quartier, mais je ne sais pas où je vais aller. » « Est-ce que ça va être plus cher ? » « Aussi grand ? » « Y aura-t-il un médecin dans le secteur ? »

Comment vous traiter concrètement ces demandes ?

Nathalie Jamboc-Bertrand : On a une maîtrise d’œuvre sociale et urbaine avec une enquête sociale. En gros 70% des gens veulent rester dans le quartier, et globalement ça marchait jusque-là. La difficulté c’est qu’avec l’inflation les gens vont avoir moins envie de déménager, on va avoir un taux de vacance moins important qu’avant la crise.

Souvent ce qui est compliqué c’est pour les personnes âgées qui ont leurs vies dans le quartier, ensuite on examine aussi le reste à vivre.Dans les réattributions on a des expérimentations sur le fait qu’il y ait une chambre pour les grands parents.

François Piquemal : Est-ce que les nouveaux immeubles d’accession à la propriété qui doivent contribuer à la mixité sociale dans les quartiers fonctionnent ?

Emmanuel Fernandes : C’est une question : la dernière fois dans ma permanence un des habitants qui y vit m’a expliqué qu’il voulait partir mais il n’arrive pas à revendre car les prix de l’immobilier ont baissé. Il a l’impression de s’être fait avoir car on lui avait dit que le quartier allait changer, devenir attractif et ça n’a pas été le cas.

Benjamin Soulet : Nous on fait de enquêtes auprès des habitants qui sont dans le nouvel habitat privé, les résultats étaient plus positifs, mais il s’agit vraiment du temps long.

Les immeubles ont été vite remplis mais très vite s’est posé la question de savoir d’où venaient ces habitants ? En fait il y a deux catégories comme on l’a observé dans le quartier du Neuhoff.

Là bas il y avait même un immeuble où ils s’appelaient « Les Portes du Neuhoff », comme si on y est mais pas vraiment. Et ces gens venus d’ailleurs ne mettaient pas leurs enfants à l’école, ne faisaient pas leurs courses dans le quartier, n’allaient pas dans les équipements culturels du quartier. Ils allaient à La Poste au mieux.

L’autre catégorie venait du Neuhoff même et avait une ascension résidentielle, eux ils s’y sentaient très bien.

On a une enquête statistique, au Neuhoff depuis le début du renouvellement urbain il y a  eu +15 points de cadres et professions intermédiaires, et tu vois par contre que dans le collège Solignac qui  l’indicateur de position sociale le plus bas de tout le département on est toujours à 1%. C’est-à-dire que les gens CSP+ qui sont venus habiter là, placent leurs enfants ailleurs et du coup il n’y a pas une co-évolution entre la diversité sociale du quartier et de l’établissement scolaire.

Pour moi c’est un marqueur du fait que l’espace public, le quartier n’est pas encore assez attractif. Cela montre que ces changements se font sur le temps long.

Nathalie Jamboc-Bertrand : Les images elles sont dures pour certains quartiers. Sur la Meinau on a observé qu’il y avait peu d’évitement scolaire dans le primaire mais plus dans le collège.

Si on veut que les gens mettent leurs enfants, il faut des projets éducatifs forts, d’excellence musique, de langue, et donc un engagement de l’Education Nationale très fort.

Benjamin Soulet : C’est à travers les équipements que le lien entre les gens peut se faire. Par exemple à l’Elsau on a acheté 1000 m², injecté 250 000 euros de la Métropole pour permettre l’installation d’un supermarché pour 2024, avec une boulangerie à côté, une maison urbaine de santé, une maison de service au public où l’on investit 5,3 millions d’euros pour réunir tous les services publics du quartier, agrandir la médiathèque, un espace France Service.

Nathalie Jamboc-Bertrand : Cela revient à ce que l’on disait : l’ANRU c’est un levier, ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique de la ville. Quand tu parlais de mixité sociale, ici il y a une telle tension au niveau du foncier que globalement les logements trouvent leurs acquéreurs, la machine est grippée quand même depuis 9 mois car les banques ne prêtent plus.

On doit aussi renégocier avec les communes de deuxième couronne pour qu’elles aillent vraiment sur la SRU, dans les contrats de mixité sociale, mais après les familles il faut qu’elles puissent vivre là-bas, il faut qu’il y ait des équipements, la cantine à 1 euro, un collège à proximité, il faut pas que ce soit plus d’inégalité pour les gens et que la facture soit plus chère. Donc cette question de l’aménagement du territoire est cruciale.

Lodève, 6 mai 2023 – Où il est question de villas, de cardio et de Bernard Tapie

Connaissez vous Lodève ? C’est une des 99 communes de la circonscription de mon collègue LFI-Nupes Sébastien Rome et la sous préfecture de l’Hérault avec Beziers. 
A moins d’une heure de route de Montpellier, de la même manière qu’Alès fait figure de porte du sud des Cévennes, Lodève est celle du Larzac. Fait notable, cette petite commune est l’une des rares de moins de 10 000 habitants à avoir été sélectionnée dans le premier programme national de l’Anru.
Cela est lié à deux facteurs. D’abord malgré sa petite taille, Lodève était dans les années 1980 classée Zone Urbaine Sensible avec pas moins de trois de ses quartiers concernés. Ensuite car le maire de l’époque, Robert Lecou, était un proche de Jean-Louis Borloo, Ministre de la Ville et grand créateur de l’Anru ce qui facilita le fléchage de Lodève dans les villes bénéficiant du programme. 
C’est avec Sébastien et son équipe que cette histoire m’est racontée, d’abord dans les petites rues de Lodève avant de prendre de la hauteur comme nous allons le voir. Nous sommes accompagnés par l’historien Bernard Derrieu qui en connaît un bout, comme Sébastien d’ailleurs, sur l’histoire de la ville et affectionne aller recueillir les témoignages des habitants.
Lodève concentre un habitat ancien très dégradé en son centre, ce qui fait que beaucoup de logements sont vacants. Des immeubles entiers sont vides à l’image de la paupérisation de la ville, qui est une centralité pour l’emploi mais plus pour l’habitat. Celles et ceux qui en ont les moyens préfèrent aller vivre dans les villages alentours, et revenir à Lodève pour le travail ou son fameux marché du samedi matin.
L’ANRU a laissé place à d’autres dispositifs « centres bourgs », « petites villes de demain », centrés sur l’Anah mais avec des aides très limitées, comme ma Prime Renov, dont on sait qu’au rythme où elle fonctionne 2000 ans seraient nécessaires pour rénover le parc de logements passoire thermique en France.
Là encore en se promenant dans la ville, il semblerait utile de systématiser  les diagnostics préalables afin que soit de  savoir s’il convient de détruire ou réhabiliter tel ou tel immeuble. Cela réclame des moyens financiers et réglementaires coercitifs bien plus au-delà de ceux qui existent  actuellement. 
Pour remédier à la problématique de la vacance du logement, une des idées intéressantes de Sébastien serait de mettre en place des Offices Fonciers Solidaires, avec du Bail Réel Solidaire. Le principe du bail réel solidaire (BRS) est la dissociation du foncier et du bâti qui permet de baisser le prix des logements : vous achetez uniquement le logement et vous louez le terrain à un Organisme Foncier Solidaire (OFS) pour un loyer faible, en signant un bail réel solidaire, d’une durée comprise entre 18 et 99 ans. Cela permettrait aussi d’avoir une réponse pour reprendre la main sur les espaces communs des copropriétés et de mixer le type de logement ou d’habitants dans ces immeubles (acces à la propriété, locataire, locataire social).
 
 
Mais revenons à nos moutons, à Lodève l’ANRU a été employé dans trois projets, les deux premiers sont jugés de manière contrasté voire négative dans leur rendu sous fond de conflits entre municipalités successives, mais nous allons nous intéresser au troisième, qui montre une vraie particularité. 
Nous voici sur un petit pont médiéval attenant au centre de Lodève que nous traversons au-dessus d’une des deux rivières de la ville, ici La Soulondres. De là un panneau indique les « Hauts de Montbrun » et une pente raide à effrayer un sprinteur du tour de France. C’est aussi l’occasion de vérifier que j’ai quand même un meilleur cardio que Sébastien Rome tant au fur et à mesure de la montée, je sens que ces mots sont plus espacés. À sa decharge il a dix ans de plus. Cela ne l’empêche pas de m’expliquer que l’on arrive sur un quartier qui était autrefois nommé la Cité de Montifort. Le nom a été changé lorsque les immeubles de cette cité ont été détruits. Un « naming » comparable à celui observé à Montpellier avec La Paillade/ La Mosson. Une ancienne photographie en noir et blanc nous montre la cité d’alors, bâtie sur une carrière, bordée par les contreforts du paysage lodévois. En grimpant, Bernard me dit que désormais les immeubles ont été remplacés par des villas !
Je m’attends donc à voir sur ce promontoire des maisons avec piscine résidentialisées, avec barrières et digicodes à chaque entrée. Je tombe plutôt sur des petites maisons colorées mitoyennes entre elles, assez loin des villas que j’imaginais. 
Nous déambulons dans plusieurs lotissements de ces maisons, et tombons sur un de ses habitants, Roland, un maçon retraité qui est ravi de pouvoir échanger avec nous sur l’histoire du quartier. Il était même présent lors de la construction du grand ensemble de Montifort, c’était une époque où Lodève avait plusieurs entreprises qui faisait d’elle un bassin d’emplois industriel. Outre l’usine textile Dimtex, la plus célèbre était la Cogema qui exploitait une mine d’uranium, puis avec le chômage montant les difficultés ont commencé à poindre dans le grand ensemble. Des habitants partaient essayer de trouver un travail ailleurs, les problèmes sociaux arrivèrent, et lorsqu’en 2003 Lodève fut choisie dans les programmes ANRU il fut décidé de procéder à la démolition de la cité.
Je demande à Roland s’il est propriétaire de sa « villa » et à mon grand étonnement il me répond que toutes les maisons sont en fait des logements sociaux. Et pour le moins accessibles puisqu’à titre d’exemple la sienne qui contient un salon, une salle d’eau, une cuisine, un garage et deux chambres lui revient à 460 euros par mois. Il dispose même d’un jardin de 100m², dont il est très heureux de nous montrer l’excellent entretien. « Dès qu’une des maisons se libère, il y a beaucoup de demandes. » On comprend étant donné l’emplacement et les loyers accessibles de ces logements.
D’après Roland, tout le monde s’entend très bien dans le quartier, ils s’invitent régulièrement avec ses voisins marocains. 
 
 
L’opération ANRU qui s’est produite ici a donc consisté à la démolition de 194 logements dont 65 étaient encore occupés en 2003. Ceux-ci ont été remplacé par ces 75 villas, qui du point de vue de l’habitat, de leur aménagement et de leur accessibilité sont des réussites. 
Beaucoup d’habitants qui vivaient dans la cité ont ainsi pu rester sur leur lieu de vie, toutefois par une simple soustraction reste la question des 129 logements et de leurs habitants restants. Où sont-ils allés ? Comment ont-ils été relogés ? Des questions lancinantes de la rénovation urbaine, dont un des grands objets reste le déplacement de population.
Près des lotissements on trouve un City Stade que Sébastien Rome tient à me montrer car lui qui a été élu municipal sait que ce genre d’équipements sportifs est typique de la rénovation pensée par Jean-Louis Borloo. Ce dernier n’était pas qu’un ami du maire lodévois de l’époque, mais aussi de Bernard Tapie. Enfant des quartiers populaires et même du communisme municipal, celui-ci est imprégné d’un néo-libéralisme mâtiné de social notamment à travers le sport comme levier d’émancipation. les  premières.heures de la politique de la ville peuvent se résumer à une volonté du pouvoir à canaliser et “tenir” les corps des garçons des quartiers. 
On est sur une facette marquante de cette volonté et de cette vision assez caricaturale des quartiers où l’on doit en faire sortir les pépites par un plus grand controle social  ou de permettre à ceux qui ont la chance d’avoir un  talent sportif de se destiner à une carrière professionnelle, comme si les jeunes de ces quartiers devaient y être cantonnés. Et en même temps parmi les équipements qu’il nous ait donné de voir lors de nos visites de quartiers de la rénovation urbaine, les City Stade restent les plus utilisés par les jeunes des quartiers.
Nous sommes à Lodève une ville qui porte encore les stigmates de la désindustrialisation, des effets collatéraux de la métropolisation. Pourtant depuis les Hauts de Montfort en regardant la ville de haut on ne peut voir que son potentiel de ville d’avenir, bordée d’espaces naturels, et de logements en son centre qui ne demandant qu’à revivre.

Montpellier, La Mosson ancienne La Paillade, le 5 mai 2023

Où il est question de naming, de copropriétés dégradées et de Conseils Citoyens tout aussi dégradés.

On est début mai et ça tape déjà fort à Montpellier. Cette fois nous rejoignons ma collègue LFI-Nupes Nathalie Oziol et son équipe à la Paillade pour une nouvelle étape d’Allo Anru.

Alors La Paillade en fait c’est la Mosson, mais croyez-moi quand vous êtes là-bas vous ne savez plus comment appeler le quartier. Parce que les habitants tiennent à l’appeler La Paillade, mais officiellement c’est La Mosson.

En fait pour saisir cet imbroglio il faut savoir qu’au début des années 2000 le quartier a été volontairement rebaptisé par la municipalité de Georges Frêche avec l’arrivée du terminus du tramway. Le ciel bleu, Georges Frêche, sans accumuler les clichés sur Montpellier, l’influence que les deux ont eu sur la ville est encore latente.

Que cela soit en matière d’héliotropisme, pour de nombreux arrivants devenus ses habitants et pour corolaire la flambée immobilière, dans sa structuration urbaine, mais aussi dans le clientéliste qui peut y exister.

Ce qui est notable c’est que ce changement de nom du quartier visait à gommer l’image trop négative de ce dernier. La Paillade n’est donc désormais officiellement qu’un sous-quartier de celui de la Mosson. Ce « naming » n’est pas un exemple unique de quartier ayant changé de nom sous la férule de collectivités espérant en changer l’image avec un projet de rénovation ou l’arrivée ici d’un transport en commun.

Pourtant les problèmes à la Paillade demeurent, c’est ce que nous allons constater tout l’après-midi avec ma collègue Nathalie Oziol en échangeant avec les habitants. Ce quartier compte 21 000 habitants sur les 300 000 que comptabilise Montpellier.

Il a été bâti dans les années 1960 comme de nombreux autres des Grands Ensembles. Ici les immeubles appartiennent soit à des offices HLM, beaucoup à celui de la Métropole, l’ACM, ou sont des copropriétés dégradées.

Petite parenthèse. Depuis que je m’intéresse aux questions de logement, Montpellier a toujours été une ville impactée particulièrement par la question des co-propriétés dégradées. Ainsi au mitan des années 2000 j’ai eu l’occasion de visiter le Petit Bard, quartier où 58% de la population était sous le seuil de pauvreté et où des immeubles entiers se dégradaient en raison de la défaillance de nombreux syndics. Une association « Justice Pour le Petit Bard » avait alors mené une longue lutte, avec à sa tête un habitant très respecté et décédé depuis, Abdennour Tataï. La Tour H haute de 50 mètres et composée de 18 étages avait d’ailleurs été détruite dans le cadre de l’ANRU en 2014.

On compte aujourd’hui 110 000 co-propriétés dégradées en France selon CDC Habitat, et le quartier de la Mosson en décompte quelques-unes.

C’est le cas de celle de l’Hortus où les couloirs comme les caves sont jonchés de détritus sur les photos que nous montrent les habitants. Surplombant le barnum installé par les militants se trouve plusieurs autres tours.

Une habitante de l’une d’elle, Fazia*, m’explique qu’elle vit dans cette copropriété depuis 15 ans. Le syndic de son immeuble a changé à plusieurs reprises, avec à chaque fois des gestions calamiteuses voire des soupçons de détournement d’argent. Désormais son immeuble est promis à la démolition. Elle n’est pas convaincue par la nécessité de le démolir, elle préférerait une réhabilitation, mais est surtout très inquiète pour le rachat de son appartement dans le cadre de cette opération.

Fazia nous raconte qu’elle a acheté son appartement, un F4, 100 000 euros en 2008 mais que désormais on lui propose de le racheter 60 000 euros afin qu’elle quitte les lieux. Dans le même temps elle paie des charges mensuelles de 700 euros alors que l’immeuble ne cesse de se dégrader.

Même inquiétude pour un autre habitant d’un immeuble du quartier, lui aussi en copropriété. Le concernant il possède un F3 de 70 m² acheté 80 000 euros en 2013, on lui en propose désormais 57 500 euros. Il ne sait pas comment il peut se reloger, il travaille dans la fonction publique avec un salaire de 2000 euros par mois, mais les appartements situés dans le quartier d’à côté coûtent pas moins de 130 000 euros pour un F2.

Pourtant pour le programme ANRU initial prévoyait la rénovation des ces immeubles. Le changement de municipalité a fait virer de bord le projet, désormais c’est la démolition qui s’impose sous l’égide de la SERM (société d’économie mixte ayant pour « mission essentielle d’assurer le développement harmonieux du territoire » et « agissant principalement au nom et pour le compte de la Ville de Montpellier, de Montpellier Méditerranée Métropole »).

Cette dernière rachète au prix du marché dans le quartier, un prix qui a baissé de par le délaissement du quartier depuis des années, sans compter la gestion calamiteuse des syndics successifs : les habitants ont vécu un an sans eau chaude avec des ascenseurs régulièrement en panne.

Le retrait de ces copropriétés du programme ANRU, qui ici aurait permis de réhabiliter les immeubles, est très mal vécu par les habitants, qui ne comprennent pas comme le projet initial évalué sur La Paillade et le quartier voisin des Cévennes est passé de 1 milliards d’euros à 500 Millions d’euros.

En face de nous le sort d’une autre tour préoccupe les habitants, celui de la Tour Assas, immeuble le plus haut de tout Montpellier : 22 étages promis à la démolition égaleme,t, au grand désappointement des habitants

En effet la Tour Assas compte 8 appartements par étage allant de 47m² et 96 m², et aurait pu être réhabilitée. Gérée par l’ACM (office public de l’habitat de Montpellier Métropole), elle doit tomber d’ici une année. D’ici là la municipalité a d’ores et déjà libéré le dernier étage pour que les montpelliérains et les touristes viennent bénéficier d’une vue exceptionnelle sur Montpellier. Pour cela ils ont dû refaire des travaux liés à la sécurité, notamment de vannes incendies qu’ils refusaient de faire auparavant selon les habitants, ce qui accentue le ressentiment de ces derniers.

L’immeuble est l’objet d’initiatives artistiques de plus ou moins bon goût, ainsi le jour où nous y sommes une performance de funambule reliant un deux bâtiments dont celui de la Tour Assas est en cours sous les yeux et les encouragements des habitants. Des encouragements ponctués d’interrogations toutefois: « ils mettent beaucoup d’argent là-dedans, mais on aurait surtout besoin qu’ils investissent pour des travaux dans nos immeubles. »

Plus choquant, sur les boîtes aux lettres désormais vides de la tour, des petits mots censés illustrer le départ joyeux des habitants ont été placés en guise d’étiquette, du style : « Partis prendre du bon temps entre deux cocotiers. ». Des mots qui heurtent les habitants y demeurant encore qui savent à quel point le relogement ne ressemble pas à un voyage exotique mais surtout à des galères.

De guerre lasse, la Tour Assas va rejoindre les poussières des 5 tours de la Paillade de 17 étages chacune détruites à l’occasion du premier programme ANRU.

Ce qui désarçonne les habitants c’est leur sentiment de n’avoir pas été pris en compte dans les choix d’aménagement de leur quartier. Fazia m’explique ainsi faire partie du Conseil Citoyen, que les habitants y sont nombreux, mais que ce dernier ne sert à rien si ce n’est une chambre d’enregistrement des doléances.

Il est intéressant de revenir ici sur ces fameux Conseils Citoyens dont on entend parler souvent au sujet de la rénovation urbaine.

Voici comment ils sont définis dans une brochure de l’Agence de la Cohésion des Territoires :

Inscrit dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, le principe de la co-construction de la politique de la ville doit permettre d’associer les habitants et acteurs des quartiers prioritaires à la gouvernance de cette politique partenariale.
Différentes modalités de participation coexistent au sein des 1 514 quartiers de la politique de la ville mais toutes poursuivent le même objectif : la prise en compte de la parole des habitants et acteurs des quartiers prioritaires. Associés à l’élaboration et à la mise en œuvre de projets qui les concernent, ces « maîtres d’usage » constituent des relais efficaces facilitant l’appropriation collective des évolutions proposées. Pour mettre en œuvre la co-construction, la loi du 21 février 2014 a prévu la création des conseils citoyens.

Partant d’une idée louable, ouvrir davantage la décision aux habitants, les Conseils Citoyens se révèlent dans de nombreux endroits avoir été minorés par les institutions et peuvent devenir le réceptacle des frustrations des habitants, comme le dit bien Fazia : « La dernière fois, ils nous ont convoqué pour nous présenter leur projet de démolition, on est revenu dégoûté, ils ont pris nos email, nos numéros ».

Les paradoxes des Conseils Citoyens ont été mis en exergue dans un article de Jeanne Démoulin et Marie-Hélène Bacqué : Les conseils citoyens, beaucoup de bruit pour rien ?**

Ces derniers sont tirés du rapport Bacqué-Mechmache, réalisé à la demande du Ministre de la ville de l’époque François Lamy et livré en 2013. Même si ce n’est pas des Conseils Citoyens que préconisait ce rapport mais des tables de quartier, créées à l’initiative des habitants, c’est bien ces conseils qui ont été retenus et rendus obligatoires.

Il ne s’agit donc pas d’une instance initiée par les habitants, mais par les institutions, sous contrôle du préfet. On a donc créé un dispositif très descendant, en l’imposant aux municipalités pour y convoquer les habitants.

Car s’ils sont théoriquement autonomes et indépendants des pouvoirs locaux, il est pourtant du pouvoir des municipalités de les mettre en place et de celle du préfet de les entériner.

Les Conseils doivent être formés de deux collèges paritaires : l’un composé d’habitants du quartier et un autre d’acteurs locaux volontaires, associatifs et économiques. « Le premier collège des habitants est constitué par tirage au sort, dans l’objectif d’associer des citoyens « ordinaires » qui ne sont pas inclus dans les arènes classiques de la participation. Leur composition fait l’objet d’un arrêté du préfet ce qui, tout en leur donnant une légitimité officielle accordée par le représentant de l’État « au-dessus » du maire, contribue néanmoins à la figer. Plusieurs recherches sur le tirage au sort montrent que ce mode de représentation, pour être véritablement démocratique, nécessite une rotation de ses participants, un mandat limité dans le temps et des objets ciblés de délibération. »

Il s’avère également que les modalités de tirage au sort sont différentes d’une commune à l’autre : « les enquêtes montrent qu’alors que certaines essayent de jouer le jeu en mobilisant différents fichiers (locataires, CAF, listes électorales…), d’autres en restent à une liste de volontaires. D’autres encore recourent au porte-à-porte et dans certains cas, comme à Lille et Amiens, plusieurs méthodes sont combinées pour « remplir » à tout prix les Conseils Citoyens. »

Les Conseils Citoyens ont aussi échoué à mobiliser les habitants des quartiers jusqu’ici éloignés des dispositifs de concertation traditionnellement proposés par les institutions. « Dans la plupart des cas, les conseillers citoyens tirés au sort ne répondent pas ou viennent un temps, pour disparaître rapidement. Il faut souligner qu’en dépit de l’ingénierie déployée par endroits pour véritablement tenter de mobiliser au-delà des habitués de la participation, il n’y a pas de suivi une fois les CC mis en place, ni d’adaptation des formats traditionnels qui leur permettrait de trouver une place. »

L’une des carences principales des Conseils Citoyens est que les moyens de la participation n’y sont pas fixés clairement. S’ils doivent disposer d’un budget spécifique celui-ci est à la discrétion des collectivités et varie beaucoup en fonction de la volonté de ces dernières. Par exemple la chercheuse Léa Billen a montré à Romainville comment le Conseil Citoyen en est resté à étudier « des éléments « traditionnellement examinés dans d’autres dispositifs participatifs », comme le relogement, la gestion du temps de chantier ou les dispositifs d’information aux habitants. Ce faisant, les enjeux politiques et la dimension conflictuelle ont été évacués, au profit d’échanges sur des questions techniques. Si l’on suit son analyse, la co-construction ne peut advenir sans intégration du conflit. »

Les Conseils Citoyens semblent donc souvent des coquilles vides du point de vue de l’impact réel que peuvent y avoir les habitants pour peser sur les projets de rénovation urbaine touchant leurs quartiers.

Un problème démocratique sur lequel se penchent des associations comme Pas Sans Nous, Appui, ainsi que mon collègue EELV-Nupes, Charles Fournier.

C’est la fin d’après-midi, et en y repensant notre barnum, les tables installés par les militants ressemblent finalement à ces tables de quartiers proposés par le rapport Bacqué-Mechmache. Une trentaine d’habitants sont passés en l’espace de deux heures, ont peu nous faire part de leur retour sur la rénovation de leurs quartiers, leurs désillusions, leurs espoirs.

Un moment déchange sans verbiage technocratique et sans faux-semblant, loin de ces réunions de concertation où les habitants sont souvent mis face à leur impuissance à pouvoir choisir le devenir de leur quartier.

Ma collègue Nathalie Oziol a déjà pris le problème à bras le corps et compte poursuivre la lutte avec les habitants.

*Le prénom a été changé

** https://www.cairn.info/revue-participations-2019-2-page-5.htm

Allô ANRU : retour sur notre visite à Alès.

Tout au long de notre tournée #AlloAnru nous reviendrons sur nos étapes en vidéo ou en billet pour vous faire vivre nos premières impressions et réflexions.

On commence par Alès. Où il est question de charbon, de Julien Doré, du Gardon, de gentrification et vous verrez que tout ça est lié.

Nous voici donc à Alès. C’est un matin de mai qui a des accents d’été tant la température semble monter rapidement. On se retrouve devant un chantier engrillagé avec mon collègue LFI-Nupes de la circonscription Michel Sala, des militants locaux de la Nupes dont les conseillers municipaux d’opposition Béatrice Lagrange et Paul Planque.

Ce dernier, membre du PCF, est un des enfants du pays et spécialiste des questions de rénovation urbaine de par sa formation d’architecte et d’urbaniste. L’Anru et ses effets est donc un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, il en suit d’ailleurs les évolutions dans son travail, y compris en Ile de France.

Mais revenons à la capitale des Cévennes: celle-ci compte aujourd’hui un peu plus de 42 000 habitants, elle est ce qu’on pourrait qualifier de ville moyenne typique avec ses avantages et problématiques.

Evidemment aucune ville ne se ressemble et c’est le cas d’Alès, qui a été marquée profondément par l’industrie du charbon, exploité depuis au moins le XIIIème siècle. Le charbon, mais aussi la production de soie dont les Cévennes ont longtemps été un épicentre auquel fait référence d’ailleurs Alessandro Barrico dans son roman éponyme, dont je ne peux que vous recommander la lecture.

L’industrie du charbon est toutefois celle qui a le plus marqué la ville, dans ses strates politiques notamment et l’organisation de la classe ouvrière travaillant dans les mines. Ainsi Alès a connu une des plus grève les plus longues d’Europe, du 5 mai 1980 au 10 juin 1981 avec les mineurs de la mine de Ladrecht. Il en reste une grande peinture symbolique en solidarité avec les mineurs réalisée en 1981 sur le mur de soutènement en béton du puits Fontanes.

Cette mémoire ouvrière a aussi été évoquée de manière indirecte par Julien Doré, le chanteur qui a donné à son dernier album le nom d’Aimée sa grand-mère originaire du bassin d’Alès. Cette dernière a té une grande militante de la CGT se battant notamment pour le droit des veuves de mineurs à obtenir leurs pensions de réversion, elle-même ayant perdu son époux mineur en 1965.

De cette histoire des mines il reste désormais un crassier, sur lequel nous reviendrons, et une constitution urbaine de la ville bien particulière.

La traduction politique de cette classe ouvrière organisée fut l’avènement de maires SFIO et communistes dans l’après Seconde Guerre Mondiale qui modelèrent profondément la ville.

Le premier grand pas de la transformation d’Alès fut amorcé par le maire socialiste Paul Béchard qui dans une optique hygiéniste assez en vogue à l’époque opta pour raser certains vieux quartiers centraux d’Alès, souvent dégradés, pour y substituer des grands immeubles d’habitation sociale. Cela quitte à voir disparaître l’auberge du Coq Hardi où fut signée la paix d’Alès entre protestants et catholiques en 1629.

Cette transformation du centre d’Alès lui donne la particularité d’avoir des quartiers de logements sociaux en son centre. Il y a encore dix années la ville comptait pas moins de 31% de logements sociaux, mais depuis ce chiffre est tombé à 20%, en dessous des objectifs légaux de 25%. La ville est donc de ce point de vue dans l’illégalité, et cela est d’autant plus dommageable que contrairement à d’autres elle possédait le parc nécessaire pour l’éviter, et qu’un réel besoin existe 85% de la population éligible au logement HLM.

Las, la municipalité reporte la construction de logements sociaux sur les communes de l’agglomération et assume pleinement sa politique de gentrification depuis 1995 et l’arrivée du Maire LR Max Roustan aux commandes de la ville.

C’est cette politique de gentrification que nous observons au cours de notre cheminement avec Michel, Paul, Béatrice et les militants de la Nupes locaux curieux d’échanger sur ce sujet. Nous nous sommes retrouvés au Faubourg du Soleil. Ce quartier est constitué d’immeubles anciens qui n’excèdent pas les 5 étages, et ressemble aux rues que l’on peut trouver dans les centres anciens de nombreuses villes petites et moyennes.

Devant nous un chantier où le vide a remplacé d’anciennes maisons qui appartenaient à des petits propriétaires. Ces maisons ont été rasées en 2022, ce qui est prévu désormais est la reconstruction de logements mais en nombre beaucoup moins important.

C’est en fait une grande partie des immeubles qui doivent être démolis. Paul Planque me fait observer qu’un certain nombre de ces immeubles sont qualifiés par les architectes de patrimoine remarquable et que beaucoup d’entre eux pourraient être réhabilités plutôt que démolis.

Ici on observe une caractéristique d’une rénovation urbaine impliquant un certain mépris de classe. A l’Alma à Roubaix, à la Reynerie au Mirail, à Clermont-Ferrand avec la Muraille de Chine, à chaque fois ce qui est pourtant un patrimoine architectural remarquable n’est pas reconnu par les parties prenantes des programmes souhaitant les démolir.

Pourtant quand il s’agit de sauver du patrimoine remarquable dans des quartiers aisés, les collectivités n’hésitent pas sous la pression parfois légitime des habitants à engager la préservation et la restauration nécessaire.

Notre tournée indique déjà qu’il y a une ignorance ou un mépris vis-à-vis de l’architecture et du bâti remarquable dès lors qu’il loge des classes populaires. C’est le cas dans le Faubourg du Soleil où la politique de démolition voulue vide peu à peu le quartier qui compte 65% de vacance de logement et où les bailleurs se désinvestissent de l’habitat laissant 58% de locataires vivre dans de l’habitat dégradé.

Un habitant du quartier regrette le choix des démolitions, se plaint du manque de consultation et aurait aimé que des études aient lieu pour savoir quels immeubles devaient ou non être démolis.

Arrivés en bas du Faubourg du Soleil nous traversons le pont de Rochebelle qui enjambe le Gardon. Ce dernier est la rivière d’Alès qui déborde parfois en raison des épisodes cévenols. Béatrice Lagrange élue d’opposition m’explique que la réhabilitation du Gardon fait partie intégrante du projet Anru à Alès. On peut se demander en quoi peut bien constituer la réhabilitation d’une rivière ?

Pour l’instant les seuls effets visibles par les habitants consistent à des opérations plutôt mercantiles du style Alès Plage, ou une guinguette éphémère aux prix assez élevés. Rapidement nous plongeons dans un des trois quartiers de grands ensembles d’Alès, celui de la Grand-Rue Jean Moulin.

Ici les effets de l’Anru visibles à première vue sont la destruction de deux coursives pour faire une « rue jardin ». Une intention louable mais qui a été mise en place sans penser à la question du stationnement des voitures des habitants nombreuses sur les trottoirs. Une sorte de ZFE urbanistique obligeant les gens à choisir entre leurs voitures ou leur logement.

Nous nous dirigeons à présent vers les Prés-Saint-Jean, nous voyons face à nous une colline qui s’arrête aux premiers arpents du fameux crassier d’Alès. Le crassier ressemble à un mont qui a pour cousin les terrils du nord de la France. C’est là qu’ont été stockés les déchets des mines de charbon. Problème : il entre régulièrement en combustion pour peu que l’humidité et la chaleur s’additionnent.

Cela a encore été le cas en juin 2022, un demi-siècle après la fermeture de la dernière mine. Bien sûr, les évaporations régulières du crassier sont susceptibles de poser des problèmes de santé aux personnes y étant exposées. C’est pourtant sur la colline attenante que la municipalité comptait construire 815 logements avec seulement 10% de logements sociaux afin de faire venir à Alès des catégories sociales plus aisées. Grâce à la mobilisation citoyenne ce projet a été empêché en raison de son impertinence écologique et sanitaire, mais est révélateur du contre sens de vouloir démolir des immeubles encore viables pour construire plus loin sur des emprises non artificialisées et surtout proches du crassier.

Un habitant que nous croisons et à qui nous expliquons notre démarche, aura cette phrase ô combien révélatrice en parlant d’un autre quartier concerné par l’Anru à d’Alès, les Cévennes, que nous n’aurons pas le temps hélas de visiter : « une tour a été vidée pour la détruire car ils veulent faire venir des gens biens. »

Cette expression des « gens biens » montrent aussi comment les habitants qui subissent les opérations de l’Anru peuvent ressentir celles-ci comme une dévalorisation d’eux-mêmes, qui revient souvent dans les témoignages des habitants impactés par les opérations de démolition-reconstruction.

Nous voici arrivés au Pré-Saint-Gervais, quartier de Grands Ensembles où l’on comprend que les services d’hygiène de la municipalité ne passent pas quotidiennement. Au seuil d’un bâtiment un hall avec écrit au-dessus en grandes lettres « Charbon », on devine un point de deal, mais l’appellation est comme un clin d’oeuil à une activité économique qui en a remplacé une autre. Il y aurait d’ailleurs un parallélisme à faire entre le vocable utilisé dans l’activité économique illégale, mais aussi dangereuse que la précédente, du trafic de drogue « charbonner », le « four », et celui des mines.

Une habitante, Zohra, nous attend pour nous témoigner des difficultés du quartier, du fait qu’il soit laissé à l’abandon malgré les bonnes volontés d’habitants ou d’associations. Ici aussi un certain nombre d’immeubles sont promis à la démolition, et l’abandon des pouvoirs publics semble sceller la fatalité qui s’abat sur les habitants avec lesquels nous discutons lors d’une rencontre organisée par les militants.

Cette fatalité de la machine « Anru », qui semble avancer comme un rouleau compresseur sans que l’on ne comprenne bien où en sont les prises. Utilisée parfois par des municipalités pour remplacer des populations plutôt que réhabiliter des quartiers à l’avantage de ceux qui y vivent.

La manière dont la gentrification a germé sur la désindustrialisation de la ville est frappante, ici comme à Saint-Etienne ou Roubaix. Le comble c’est que l’Anru y est utilisé localement pour l’accélérer. La visite prend fin par cette discussion collective où il convient de faire souffler l’espoir des luttes d’habitants qui comme à l’Alma à Roubaix ou au Mirail à Toulouse s’organisent pour préserver leur habitat et refusent d’être des variables d’ajustement de la rénovation urbaine version Anru.

Un grand merci à Michel Sala, les habitants et tous les militants de la Nupes pour cette visite de cette si belle ville à laquelle j’en suis sûr la Nupes redonnera bientôt ses couleurs.

L’occasion de citer ses paroles de Julien Doré:

« Nous
On ira voir la mer
Voir si la lune éclaire
De quelques têtes hors de l’eau
Un monde où tout se perd »

Première question au Conseil Municipal de Toulouse

M. Moudenc,

Durant la campagne vous vous êtes présenté comme le sauveur de l’aéro, contre notre liste qui aurait été anti-aéro. Une allégation malhonnête tant nous sommes nombreux à travailler directement ou indirectement en lien avec ce secteur comme de nombreux toulousains. (Clément Ader)

Nous avons appris hier la suppression de 15 000 emplois chez Airbus dont 3 500 à Toulouse1, et que des négociations importantes débutent avec les syndicats la semaine prochaine, la municipalité doit peser de tout son poids pour être au côté des salarié-e-s et trouver des solutions pour la filière y compris dans sa diversification inéluctable.

Pour cela de même qu’il serait souhaitable que chaque projet de la collectivité soit passée au crible d’une règle verte pour vérifier son impact écologique, il serait bon que la collectivité fixe une ligne rouge avec les entreprises s’assurant de leur bonne conduite concernant le traitement de leurs salariés.

On ne peut soutenir ou passer des accords financiers avec des sociétés sans contreparties sociales, notamment la préservation de l’emploi.

Or je note qu’un contrat a été passé par la ville avec la société Derichebourg (20V0105), concernant un marché public pour des prestations de désinfection pour un montant de 173 393,76 euros.

Celui-ci a été notifié le 3 juin 2020 soit trois semaines après que l’on apprenne que (dans la presse dès le 11 mai2 ) la branche aéronautique de cette société prévoyait un plan de licenciement de 600 à 700 personnes.

Ce dernier a finalement été abandonné pour la mise en place d’un Accord de Performance Collective (APC). Un dispositif introduit dans la loi par la réforme du code du travail au début du mandat de votre soutien d’Emmanuel Macron, qui est un outil de chantage à l’emploi vis à vis des salariés se traduisant ici par la réduction de leurs rémunérations d’environ 200 à 500 euros mensuels.

Alors M. Moudenc, vous qui prétendez être « le maire de l’emploi », je ne sais pas la date exacte à laquelle ce contrat a été signé, mais vous l’avez bel et bien validé en date du 3 juin. Une société dont le chiffre d’affaire était de 2,9 milliards d’euros en 2018, et dont le PDG déclarait je cite : « les gens vont devoir choisir de quoi ils veulent mourir de faim ou du virus »3.

Avez vous inclus à ce contrat inclus des clauses ou des conditions permettant de défendre la sauvegarde de l’emploi des salariés dans la société et si oui lesquelles?











1 https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/airbus-2398-postes-supprimes-sites-toulouse-1849308.html

2 https://www.lesechos.fr/pme-regions/occitanie/coronavirus-derichebourg-aeronautics-services-envisage-de-supprimer-700-emplois-1202899

3 https://www.revolutionpermanente.fr/Pour-le-patron-de-Derichebourg-Aeronautics-Services-il-faut-choisir-de-mourir-de-faim-ou-du-virus

Cueillir des cerises

C’est donc demain le déconfinement. Celui que l’on attend depuis quasiment deux mois maintenant. Pourtant il ne s’agira pas d’un moment de joie extatique brodé de romantisme, de musiques, et d’embrassades à tout-va comme fantasmé par certains. Le déconfinement sera gris. Je vous le dis clairement j’attendrai la réouverture de mon bar de quartier, Les Merles Moqueurs, pour respirer un peu mieux, et ce n’est hélas pas pour demain. 

Surtout que les récentes contaminations survenues en Haute-Vienne et en Dordogne nous rappellent que nous ne sommes pas à l’abri de devoir retourner dans nos logements trop petits. Ces derniers nous rappellent à quel point la Terre peut être étroite si on n’a pas le compte en banque et l’origine adéquates. Christophe Castaner l’a redit ce matin, le déconfinement dépend de notre civisme. Pas des masques et des tests, mais de notre attitude. Traduction : si nous sommes contraints de nous reconfiner, ce sera de notre faute, pas de celle du gouvernement élu pour gérer les affaires. On commence à avoir l’habitude de ce genre de logique, qui veut qu’un tir de LBD à bout portant soit de la responsabilité de celui ou celle qui en est victime plutôt que de celui qui a appuyé sur la gâchette.

Dans le monde de la start-up nation, on est toujours coupable de n’ « être rien » en attendant notre train, et de coûter un « pognon de dingue » quand nos vies sont des galères. 

Dans cette sinistrose, la crise du Covid 19 aura au moins eu ce mérite : mettre davantage à nu l’ignominie du libéralisme économique sous toutes ses formes : néo, ordo et autres. C’est ce à quoi nous invite aussi la nouvelle séquence à venir : poursuivre le combat pour construire un nouveau monde, celui d’après que tout le monde a à la bouche. En espérant que nous soyons encore plus nombreux à le désirer désormais. En espérant que nous parvenions, dans les mouvements sociaux et politiques, à proposer des alternatives permettant un changement de logiciel au sommet du pouvoir.

J’attendrai la réouverture de mon bar de quartier pour respirer un peu mieux, et l’assurance qu’il sera ouvert avec ses salariés l’année prochaine et celle d’après pour respirer pleinement. Pour cela il faut repenser les modèles. Et à Toulouse de manière singulière, tant les dégâts du raz-de-marée qui s’annonce risque d’avoir des conséquences importantes sur le secteur aéronautique. Rappelons que ce dernier concerne plus de 500 000 emplois directs ou indirects en Haute-Garonne. D’ores et déjà de riches débats ont débuté dans notre ville. 

Cela a commencé fin avril avec les contributions d’Attac, de la Fondation Copernic, de l’Université Populaire de Toulouse et des Amis du Monde Diplomatique, signant deux tribunes sur le sujet dont la dernière en date ce samedi 9 mai : « Toulouse, un pays de Cocagne ? ». Celle-ci réaffirme les positionnement pris dans la première publiée fin avril. Les auteurs y interrogeaient la possibilité d’un « syndrome Détroit » à Toulouse, fondé sur la fragilité que représente la mono-industrie aéronautique dans la ville rose et son agglomération. Une fragilité entretenue par les décideurs politiques locaux pendant longtemps, sur l’autel de la croissance infinie. Ce constat est abondé par l’Atelier d’Ecologie Politique, créé et fondé à Toulouse, qui s’est adressé directement aux salariés de l’aéronautique via une lettre publique. Le groupe de scientifiques y invite à une réorientation nette du secteur, eu égard à la baisse de trafic à venir, mais surtout au vu des enjeux climatiques à atteindre.

Ces premières réflexions furent suivies d’une tribune réponse signée par l’économiste Gabriel Colletis et le délégué syndical CGT Xavier Petrachi, membres de l’association Manifeste pour l’Industrie et intitulée : L’industrie aéronautique, une activité du passé, vraiment ? Dans celle-ci les auteurs nuancent certaines assertions de la première tribune tout en partageant de nombreux constats et propositions, notamment sur la sortie de la mono-industrie et la nécessité d’être à la hauteur de l’urgence climatique. La principale différence d’analyse se situe au niveau du modèle de sortie de l’aéronautique. Le Manifeste pour l’Indutrie souhaite un changement de modèle mais pas une table rase du secteur aéronautique. Il propose d’ailleurs plusieurs propositions détaillées à cet effet.

Voici donc où nous en sommes de cette émulation intellectuelle sur l’avenir de notre ville, des emplois et de son industrie. Je vous invite à lire, si vous en avez le temps, chacune de ces tribunes. Malgré leurs divergences, ces réflexions ont le mérite de poser les bonnes questions pour l’avenir.

 Il est l’heure de les écouter, d’en parler, d’échanger. Loin de ceux qui pensent encore que, grâce à des forces supérieurs mystérieuses, le secteur redécollera comme avant. D’ailleurs ceux-là devraient penser à une autre période de l’histoire de Toulouse où une mono-industrie s’est effondrée, laissant notre ville exsangue, celle du Pastel.

Pour rappel au XVe et XVIe siècles, alors que la production d’étoffes augmente fortement en Europe, il y a une forte demande en produits tinctoriaux dont le bleu. Connu depuis l’Antiquité, le pastel est ainsi exploité par de nombreux paysans toulousains. Cette plante herbacée bisannuelle, dont les feuilles sont collectées, séchées et broyées pour en faire une pâte, puis une boule, la cocagne (d’où l’expression « pays de cocagne »…), sert pour la teinte des textiles dans les centres européens, de la péninsule ibérique aux pays du Nord.

Ce commerce permet l’enrichissement de négociants, visible avec la construction de palais urbains sur des modèles espagnols et italiens, comme les hôtels de Bernuy et d’Assézat. 

Mais cette épopée ne dure pas plus de deux générations, suite à la concurrence d’un nouveau venu qui rencontre alors un fort succès : l’indigo. Pas la société filiale de Vinci à qui l’actuelle municipalité a bradé la gestion de nombreux parkings, mais le produit venu d’Amérique Centrale suite à sa colonisation par les Espagnols.

Cette « épopée du Pastel » fait aujourd’hui écho avec la situation de l’industrie aéronautique, et nous rappelle que rien n’est figé, y compris quand il s’agit d’industrie et d’économie. Comme le préconisent les différents collectifs cités plus haut, c’est le moment d’ouvrir un débat dans notre ville, et au-delà sur ce que nous voulons pour l’avenir : quels emplois, dans quels secteurs, et comment, avec quelle règle écologique. Le Green New Deal Toulousain est plus que jamais d’actualité.

Pour le débuter comme pour les activités humaines il faut établir un ordre de priorité pour un certain nombre de projets. Est-ce essentiel aujourd’hui d’investir 120 millions d’euros pour construire une nouvelle Cité Administrative alors que l’actuelle est fonctionnelle , de l’avis des 1 500 agents qui y travaillent ? Est-ce urgent de construire un quartier d’affaires énergivore et dont la pertinence pose question ? Quid de la Tour Occitanie déjà peu sérieuse avant, qui mérite d’être enterrée définitivement. A-t-on besoin d’appartements de luxe dans le site historique et hospitalier de La Grave quand il faudrait un big bang de la santé dans notre ville ? A quoi va servir un parc des Expositions surdimensionné pour des touristes d’affaires internationaux qui vont moins prendre l’avion ? 

Plus que jamais il est l’heure de faire des choix pour notre avenir. Le déconfinement sera gris, mais c’est aussi la saison pour aller cueillir des cerises.

Confinement : à quoi je sers ?

Depuis le début du confinement je me rends deux fois par semaine dans une association d’entraide réputée pour son sérieux, pour aider à la distribution alimentaire. Je le fais tout autant pour donner un coup de main, que pour trouver une utilité sociale au-delà du télé-travail auquel je m’attelle tant bien que mal avec mes classes. Parfois cela se passe au siège de l’association, où des familles, des personnes seules, jeunes, âgées viennent retirer des colis pour tenir une semaine, en attendant la prochaine distribution. Parfois nous allons livrer avec un camion des colis à des personnes isolées. Une dizaine dans l’après-midi. Nous traversons la ville de part en part, souvent dans les quartiers où les logements sont sociaux, où l’on jure contre l’ascenseur qui, une fois sur deux, ne fonctionne pas, obligeant à porter les colis par les escaliers. Une peine toutefois bien négligeable comparée à celle des personnes qui nous ouvrent. Seules au milieu du confinement. 

Un monsieur âgé décuple les barrières de sécurité en nous obligeant à travers sa porte à poser les courses au bout du couloir. Il glisse ensuite une enveloppe avec 20 euros, pour l’association. Une dame en situation de handicap nous accueille, elle sort encore moins qu’avant, nous explique t-elle. Un mètre, toujours un mètre, les gants, les masques. Concernant ces derniers, nous n’en avons pas autant que nous le souhaiterions, ceux envoyés par la Préfecture ne convainquent pas beaucoup. Ils ressemblent à des serpillières trop grandes, mais on fait avec.

A chaque fois nous échangeons quelques mots alors que nous déballons le sac principal sur la table à manger, bout de plastique qu’il ne nous faut pas gaspiller. Le moral, la santé, la météo, l’ami à qui l’on parle au bout du fil, les enfants qui ne sont pas dans la même ville. Au fil des semaines les quelques mots prennent une autre tournure, plus interrogative, plus profonde.

De plus en plus les serrures des questionnements s’ouvrent. Pendant que l’on vide les colis une femme se rassied sur son canapé, les yeux face au mur « Est ce qu’on est puni ? ». Plus loin, un homme compile les magazines Géo sur sa table à manger « je m’évade comme ça. Avant un ami venait me voir, mais là il est malade donc on évite. Qu’est ce qui va se passer après ? ». Dernière livraison de l’après-midi, une dame ouvre. Sur la petite table du salon des poissons rouges tournent en rond dans un bocal bien entretenu, elle nous demande avec un sourire poli : « J’en ai assez, en plus les personnes âgées comme moi on va devoir rester confinées plus longtemps apparemment. Je me demande de plus en plus à quoi je sers ? A quoi on sert d’ailleurs de manière générale ? ».

Les mots que l’on répond sont étroits face à la largeur des questions que nous trouvons dans chaque appartement où nous déposons de la nourriture. Ils sont ceux du réconfort, ceux qu’on utilise comme des bouts de bois auxquels on s’accroche sans savoir où le courant nous porte. Nous ne savons pas quoi faire de nos mots comme de nos mains face au désarroi que sème la situation. Nous ne nous touchons pas pour nous saluer, nous nous touchons avec des mots simples, des plis au coin des yeux au dessus des masques. 

Récemment il y a eu un impair. Lors de la dernière livraison. Une fois n’est pas coutume, un immeuble cossu du centre-ville. L’interphone ne fonctionne pas, nous n’avons pas le code et, au téléphone, la dame n’est pas capable de se souvenir de celui-ci. Elle nous ouvre et nous dit que l’on est cruel de l’avoir fait descendre. Nous comprenons vite pourquoi. Elle est très affaiblie du fait de son âge. Elle reste longuement dans le couloir, ouvre sa boîte au lettre et trouve un Paris Match. «  Au moins ceux-ci, ils ne m’ont pas oublié », puis se retourne vers nous et nous reproche d’avoir « encore laissé les vélos dans le couloir ». Nous devons lui ré-expliquer qui nous sommes et pourquoi nous venons.

Elle recouvre alors sa lucidité puis et nous amène au bout du couloir face à l’escalier. Elle se tourne vers nous : «  il va falloir que je m’avale ça maintenant », elle tend la main. Cas de conscience. Nous nous efforçons de respecter scrupuleusement les un mètre. Toujours. On désinfecte nos gants dans le camion. « Je n’y arriverai pas toute seule, il ne fallait pas me faire descendre ! ». On se regarde avec mon collègue de tournée, mais nous n’avons pas le temps d’échanger, elle a déjà mis sa main dans la mienne. Dès lors, il est trop tard pour un retour en arrière. Je lève un peu la mienne pour lui donner de la hauteur et de quoi s’appuyer pour la première marche. Puis les suivantes. Chaque pas est un supplice, nous faisons des pauses régulières. On reprend à chaque fois qu’elle recommence à nous interroger sur nos occupations ou sur le nombre de personnes dehors. Je sens bien que tenir une main est pour elle plus qu’un soutien pour monter. C’est surtout un appui moral qu’elle trouve dans ses paumes liées. Un réconfort qu’elle fait durer quelques pas alors que nous avons fini de monter les escaliers, et que nous entrons dans son appartement aux vieux meubles patinés et aux couvertures colorées. Nous déposons les sacs lourds. Elle nous en demande l’inventaire. Nous n’avons pas le cœur de ne pas prendre le temps de le lui faire. En fonction de ce qu’elle découvre, farine, céréales, sardines, chocolat, elle approuve ou réprouve le contenu. Elle nous demande ce qu’elle va faire avec le chocolat en poudre, on lui suggère du chocolat chaud, ce qui lui donne le sourire. Elle veut savoir s’il y a à boire, juste 6 briques de lait, lui indique t-on. « Non mais vraiment à boire, du coca par exemple, ou du pastis, tiens, j’ai bien le droit de temps en temps ! ». Nous sourions, avant de partir je lui demande de vérifier si elle n’a pas le code de la porte d’entrée de l’immeuble pour la prochaine fois, « mais si c’est 1929, mon fils a fait exprès, mais là il est dans le nord de la France, à Bordeaux ». Pourquoi 1929 ? demande l’autre bénévole. « Parce que c’est l’année où je suis né ». 90 ans, cette dame a 90 ans, elle est seule, malade, elle n’a vu que nous et une amie depuis le début du confinement d’après ses souvenirs fragiles. « Heureusement j’ai encore des provisions ».

Une fois en bas, je vérifie que le code qu’elle m’a donné fonctionne. La porte ne s’ouvre pas. Il faudra la rappeler, une fois au siège, pour essayer de démêler l’affaire et trouver quelqu’un qui lui rende visite régulièrement. Le temps de gravir 2 étages à 3 dans des escaliers on mesure parfois mieux ce qu’est la solitude qu’en d’autres occasion. Il y aura un besoin de consolation à rassasier après tout ça.

Des mains à tendre encore, tant elles sont déjà nombreuses à l’être partout dans le pays. 

C’est sûrement un des plus beaux versants de l’épisode sinistre que nous traversons, une solidarité renouvelée, diffuse et massive. 

Là où certains politiciens voyaient dans le confinement un moyen de surenchérir les lueurs désuètes de l’étoile de shérif dont ils se sont affublés à coup de couvre-feu, de drones, de pression sur la police pour intensifier les contrôles. Une grande part de la population répond à leurs névroses par des gestes solidaires. Un raz-de-marée d’empathie qui, espérons-le, emportera dans les tourbillons de l’oubli les mobiliers anti-sdf et arrêtés anti-mendicités encore debout dans l’Hexagone. 

Montrez-leur à ses tenants de l’individualisme et de la loi du marché ces supporters ultra organisant une cagnotte pour les personnels soignants, ces restaurateurs et commerçants proposant des cagettes solidaires. Montrez-leur ces bénévoles d’un club de foot livrant les personnes dans le besoin, ce sportif de haut niveau s’engageant pour le nettoyage d’un hôpital. Montrez-leur ces maraudes s’organisant sur les réseaux sociaux, passant par la confection de repas puis la livraison à des personnes à la rue, ces associations et collectifs s’organisant pour la répartition alimentaire là où l’État ne suit pas. Montrez-leur ces locataires faisant du bruit pour demander un moratoire sur les loyers, cette maison de quartier organisant la solidarité. 

Montrez-leur, qu’ils comprennent que certaines choses ne s’achètent pas et mieux, n’ont pas de prix.

Toutes ces initiatives, le succès qu’elles rencontrent, le nombre de demandes de bénévolat dans les associations montrent que quelque chose naît, que notre pays regorge de personnes volontaires, répondant à la question « à quoi je sers ? » par une volonté d’engagement, de solidarité avec celles et ceux les plus exposés. Sur la question alimentaire, la santé, le logement. 

Qu’adviendra-t-il de cette solidarité après ? Elle ne se dispersera pas d’un coup de claquement de doigts estival, il en restera évidemment quelque chose. A fortiori quand la situation socio-économique s’annonce délicate pour un grand nombre de personnes. Des chemins se clarifient, d’autres se créent.

Deux visions de l’après se font dès lors plus nettement jour. Celle des shérifs de pacotille dont la foi en l’humanité s’arrête au premier moyen de coercition venu, contre celle du commun et de l’entraide, qui gage de se faire confiance et de faire bloc face à l’événement. 

C’est cette perspective que nous ne devons pas laisser filer entre nos doigts, c’est celle là qui doit guider le jour, le mois, l’année, le siècle d’après. Ce sera la meilleure réponse à notre utilité individuelle, et mieux encore collective.

Quel projet pour le TFC ?

Et si on parlait du TFC ? Du quoi ? Du Toulouse Football Club, oui du TFC. Il aura été un angle mort, parmi d’autres, de la campagne municipale. Certes quand on dit Toulouse, en dehors de la Haute-Garonne, les poncifs qui reviennent sont rugby-avions-cassoulet. Mais quand on évoque le TFC, c’est plutôt indifférence voire moqueries qui s’expriment. Dommage, car un club de foot, c’est plus que 11 joueurs sur un terrain ; cela peut être aussi une carte de visite des valeurs que porte une ville. Alors pourquoi ne pas avoir cette envie pour notre club ?

 Je précise qu’à l’heure où j’écris ces lignes, la presse locale se fait l’écho de rumeurs de vente du club à un consortium sino-américain. Son propriétaire actuel, M. Sadran, dément pour le moment et assure privilégier une option hexagonale. Il est donc compliqué à cette heure d’anticiper les prochaines étapes de ce feuilleton.

Ce qui est certain qu’avant l’épisode Covid 19 le club filait tout droit en Ligue 2 et que la crise était palpable : 20e au classement, énième entraîneur débarqué, supporters frustrés, club devenu la mascotte du moment de la Fédération Française de la Loose. Quand cette mauvaise spirale finira-t-elle ?

Le paradoxe du TFC, c’est que l’affluence en tribune au Stadium (16 224 spectateurs pour la saison 2018-2019) n’a pas à rougir face à celle d’Ernest Wallon (18 385 spectateurs). Il y a donc dans notre ville, s’il était besoin de s’en assurer, un public pour le foot. Un public qui a vibré pour les Marcico, Emana, Ben Yedder et consorts… Mais un club qui peine à susciter l’enthousiasme au point que l’on est surpris de voir davantage de maillots du PSG ou de l’OM quand les Violets accueillent ces deux clubs. 

Sans exagérer son influence, on ne peut pas considérer le TFC comme une entité déconnectée de la ville dont les résultats et les péripéties importent peu. La future municipalité doit donc travailler à renouveler cet enthousiasme qui a existé à certaines périodes du club. Le foot et les clubs qui le font vivre sont des organisations sportives mais aussi culturelles qui peuvent fédérer, inclure et inspirer. Un club peut mettre en lumière les caractères, les valeurs d’une ville, que ce soit dans son ambition de résultats, et plus intéressant encore, dans son état d’esprit .

Songeons au FC Lorient et à l’En Avant Guingamp en Bretagne, symboles de convivialité et d’équipes joueuses. Songeons au RC Lens, au FC Sochaux et à l’AS Saint Étienne, clubs des classes populaires et tenants d’une certaine culture ouvrière. Songeons à l’Olympique de Marseille ou au FC Barcelone, clubs qui transcendent les appartenances sociales et sont les porte-drapeaux d’une ville voire d’une région. 

Le football est un formidable vecteur culturel et social. Il est donc important de donner au TFC les moyens d’incarner notre ville dans nos valeurs démocratiques, d’inclusion, de solidarité et de partage.

Alors par où commencer ?

Le 1er Janvier dernier est entrée en exercice la convention décennale signée par le président sortant de la Métropole toulousaine avec la direction du TFC. Si celle-ci augmente la redevance, passant à 1 624 000 Euros (divisible par 2 en cas de descente en Ligue 2, scénario qui se profile), elle prévoit également que les grosses réparations soient du ressort de la collectivité qui prend en charge le nettoyage des espaces mis à disposition de façon temporaire après les matchs. Par ailleurs, la Métropole reste responsable de la pelouse et s’engage sur la réalisation de travaux de mise en conformité éventuellement demandés lors de compétitions sportives. Elle a programmé des chantiers en vue de grands événements sportifs : achat de la luminothérapie, installation d’écrans géants… La convention établit aussi la possibilité d’un changement de nom (naming) du Stadium, sur lequel il convient d’être particulièrement vigilants pour éviter une marchandisation de ce bien public.

Mais nous devons aller plus loin. La prochaine municipalité doit entamer des discussions avec la direction du club pour envisager ce qui pourrait être mis en place et construire un projet à la hauteur de notre ville et de notre agglomération. Il ne s’agit pas de demander des résultats au-dessus des moyens financiers de la direction, mais un nouveau souffle pour le Stadium.

Cela ne pourra se réaliser sans que les supporters soient plus souvent consultés, participent  davantage aux instances du club, puissent échanger avec l’équipe dirigeante, sportive, avec les joueurs. Le club doit être encore plus ouvert sur les clubs de la ville et de la métropole. Il s’agit de tisser des partenariats privilégiés avec les clubs de quartiers, que chaque pitchoune de la ville puisse une fois par saison aller voir les Violets jouer. Le club, mais aussi la future municipalité, doit rompre avec l’opacité de la répartition des subventions. On sait qu’aujourd’hui un seul club touche plus que cinq autres réunis avec pourtant moins de licenciés. On voit aussi des terrains laissés à l’abandon pour empêcher des clubs de s’y installer et tenter ainsi de gommer une identité de quartier, facette méconnue mais réelle de la gentrification.

Cela passe aussi par notre équipe féminine qui doit pouvoir se développer activement à tous les niveaux. Il faut que l’équipe fanion féminine puisse jouer en Ligue 1 et se donner, pourquoi pas, comme objectif à moyen terme de concurrencer Lyon, Paris et Montpellier pour jouer la Ligue des Champions.

Le nouveau souffle du TFC, au moyen d’une identité de convivialité, d’accueil et de partage chère aux habitant-e-s, doit s’incarner sur et en dehors des terrains. Un  engagement de la collectivité et des contribuables oblige à un droit de regard sur le devenir du TFC pour mieux le soutenir et qu’enfin il soit synonyme de plaisir et de fierté, plutôt que de galère pour ses supporters.

Pour une ville OKLM

10 fois plus de débit, 10 fois plus d’objets connectés simultanément, 10 fois moins de temps de réponse, c’est ce que promet la 5G. Toulouse va passer à la 5G dès son lancement commercial en 2020. Des antennes ont déjà été installées dans notre ville, notamment dans le secteur de Francazal.

L’arrivée de la 5G est annoncée en grande pompe par l’actuelle municipalité, comme un élément d’attractivité pour notre ville. Pourtant, derrière cet argument discutable, se cache un envers du décor beaucoup moins idyllique. Ainsi, pour que le réseau soit efficace, il faudra ériger beaucoup plus d’antennes-relais, environ une tous les 1 500 mètres. À terme, 20 000 satellites transmettront les données, partout sur terre.

Cette condition risque d’étendre le nombre de personnes électro-hypersensibles, déjà estimé à plusieurs millions en France, un risque sanitaire dénoncé par de nombreux chercheurs. En 2017, 180 scientifiques et médecins du monde entier avaient signé « l’EU 5G Appeal », qui réclamait l’arrêt du développement de la 5G, jusqu’à ce qu’il soit établi qu’elle ne présente aucun danger. Parmi eux 5 Français : Marc Arazi, physicien ; Dominique Belpomme, professeur de cancérologie à l’université Paris-Descartes ; Philippe Irigaray, docteur ès Sciences en biochimie ; Vincent Lauer de la coordination nationale contre les antennes-relais ; et Annie Sasco, médecin épidémiologiste du cancer. La ville de Bruxelles a même mis fin à son expérimentation, refusant que ses habitant-e-s soient des rats de laboratoire.

Mais au-delà de ce risque sanitaire, la 5G pose la question de la ville connectée à tout prix, y compris celui de la destruction écologique, car tout un tas d’objets connectés énergivores verront le jour pour s’adapter à ce changement de technologie. À tel point que certains parlent ‘’de changement sociétal sans précédent à l’échelle mondiale’’, avec l’arrivée de nouveaux objets connectés, 155 milliards d’ici 2025 » [1], auxquels il faudra bien se résoudre, pour une grande partie des personnes, à acheter pour rester ‘’connecté’’. »

L’installation de la 5G, incitant à aller toujours plus vite sans savoir bien pourquoi, montre une nouvelle fois le décalage entre la communication sur l’écologie et les actes réels.

Finalement, alors que 11 millions de personnes en France sont touchés par la précarité numérique, est ce qu’une ville intelligente est celle qui dispose de la 5G ou celle qui garantit un accès et une formation au numérique à toute-s- ses habitant-e-s ? Dans quelles villes voulons-nous vivre ? Des villes où tout va toujours plus vite ? Où les liens se défont; ou au contraire construire une ville où il est possible de refaire communauté ? Si tel est notre chemin, alors il faut repenser le temps dans nos villes, plaider pour des « villes au calme », face aux villes de la CAME.

La CAME, c’est la mythologie mortifèrere de nos élites obsédées par la Compétitivité, l’Attractivité, la Métropolisation et l’Excellence. Ce concept a été forgé par l’économiste Olivier Bouba-Olga et le sociologue toulousain Michel Grossetti. Il désigne le logiciel de pensée qui guide les politiques publiques et les grands projets qui se développent dans toutes les grandes villes françaises.

La CAME met en concurrence les villes entre elles, mais aussi leurs populations. C’est la guerre de tou.te.s contre tou.te.s. Au nom de l’attractivité, les processus de gentrification sont imposés, le patrimoine historique des villes bradé, leurs centres-villes « aseptisés » des classes populaires. On tue les villes et leurs identités, on arrache leurs âmes. Toulouse n’est pas en reste de ce point de vue là : Place de l’Europe, Quai Saint-Pierre, La Grave, Place Saint-Sernin, Quartiers de la gare… On ne compte plus les lieux du centre-ville livrés à la gentrification au nom de la CAME.

Cette overdose conduit aussi à multiplier les grands projets inutiles et énergivores. Ici la Tour d’Occitanie et son quartier d’affaire compteront 300 000 m² de bureaux alors que 240 000 m² sont aujourd’hui vides à Toulouse. Là le nouveau Parc des Expos surdimensionné. Tous deux au nom de leur prétendue capacité à attirer les « touristes d’affaires ». Les politiques publiques d’aménagement ne se font plus d’abord pour les habitant-e-s mais pour les ultra-riches.

La plupart des élites politiques des métropoles sont aujourd’hui intoxiquées à la CAME, et ne se rendent pas compte que leur dépendance nous envoie dans le mur du désastre écologique et de la guerre sociale, titre de l’excellent livre de Romaric Godin. Nous devons changer de logiciel. Rapidement.

En effet, aucune considération ni sociale ni écologique n’est prise en compte par la CAME : ségrégation urbaine, privatisation des espaces, minéralisation et artificialisation des sols, îlots de chaleurs, etc. Ce qui guide tout ça : une visée économique pourtant très discutable.
C’est de cette overdose intenable pour la vie et l’écosystème qu’il faut sortir, c’est un nouvel horizon pour la ville qu’il nous faut tracer. Finie la ville qui carbure à la CAME, à nous de construire une ville désintoxiquée, une ville au calme.

Qu’est-ce que serait une ville plus calme ?

Une ville libérée du tout marchand, au sein de laquelle tout ne se vend pas et ne s’achète pas. Une ville dans laquelle la décélération permet de construire une meilleure relation à soi, aux autres et à l’environnement. Une ville où l’on se réapproprie le temps afin de pouvoir répondre aux besoins et prendre soin de chacun.e.

Une ville où il n’y a peut-être pas la 5G dans le métro, mais où celui-ci est accessible logistiquement et financièrement à tous les habitants et où ceux-ci peuvent s’ils le souhaitent échanger quelques mots au-delà du clavier de leurs écrans bleutés.
Une ville où l’on prend le temps d’un apéro avec ses amis, d’aller au cinéma avec sa famille, de préparer à manger et de partager un repas avec ses proches un dimanche, d’accompagner le petit dernier à son match de rugby, d’aller voir l’aînée jouer son match de foot.
Une ville où l’on a pris le temps de connaître le prénom de l’ancienne de l’immeuble et du boulanger du quartier.

Une ville où chacun.e perçoit un avenir commun et rayonnant pour tou.te.s, sans distinction aucune.

Reconquérir le temps, c’est ne plus nous laisser piéger par les gadgets de la CAME à l’image de la 5G ou de la seconde rocade promise par le maire actuel et qui ne fera qu’amplifier le trafic autoroutier, lorsque ceux qui utilisent leur voiture au quotidien perdent déjà 6 jours par an dans les bouchons.

Une ville au calme nécessite de changer de modèle sur un certain nombre de sujets : numérique, transports, aménagements des quartiers, gestion du temps dans la ville. C’est une reconnexion aux autres, à celles et ceux qui partagent la ville avec nous, mais aussi aux écosystèmes qui nous entourent. C’est se mettre sur le bon chemin face à l’urgence écologique et climatique et les nécessités d’une réelle vie en commun.