François Piquemal

À l’heure où Toulouse s’effondre, prendre soin de nos héritages

D’ici quelques semaines, Toulouse commémorera le centenaire de l’élection d’Étienne Billières à la mairie. La marque sociale de ses deux mandats se ressent encore dans la ville, par un engagement profond pour ses habitantes et habitants, à travers une gauche qui se plaçait alors en rupture d’une tradition locale de centre-droit cultivée par de récalcitrants notables aux pratiques subsistantes du siècle précédent. Logement, école, voirie, sport… Sa politique de démocratisation de la ville a permis de la rendre accessible aux toulousaines et toulousains, de décloisonner les quartiers et de donner à toutes et tous les bases d’une vie digne, y compris avec un accès généralisé à l’eau potable et le développement des éclairages publics.

Cent ans plus tard, l’héritage d’Étienne Billières transparaît dans les infrastructures du quotidien (lampadaires dans nos rues, eau de nos robinets) et dans ses monuments (Bourse du Travail, parc des sports). Mais sa présence est discrète. Son nom n’est pas suffisamment devenu synonyme d’une vie engagée pour l’intérêt général, la survivance de son action est un souffle politique qui parcourt la ville sans qu’on ne le sache. Si ses mandats ont permis à l’époque une bourrasque de vent d’autan rafraîchissant, les changements insufflés se sont intégrés pleinement à notre vision de ce que doit être une ville pour ses habitantes et habitants. Le progrès social devient toujours la nouvelle norme.

Étienne Billières a bâti les murs de notre maison toulousaine. Et à mesure que les dirigeants ont sciemment laissé s’essouffler son souvenir, les murs de nos maisons se sont craquelés. Ce patrimoine immatériel du socialisme municipal a vécu le même abandon que le patrimoine toulousain du quotidien.

La ville, déjà affaiblie par le compas moral fragilisé de ses représentants, se voit maintenant craquelant sur ses fondations. Nous avons ainsi tous été marqués par l’effondrement du 4 rue Saint-Rome en mars 2024, véritable signal d’alerte envoyé par notre ville : une structure du XVIe siècle remaniée au fil des siècles et composée de divers matériaux locaux. La mairie de Toulouse s’était contentée de repaver la rue en 2017 dans un but d’embellissement, voilà qu’elle s’écroule en 2024 à défaut d’attention donnée à sa viabilité.

Le symbole demeurait toutefois moins fort que la prégnance du risque, qui est alors devenu visible pour nombre d’habitantes et habitants. Des années d’inaction municipale ont laissé émerger ces fissures, accentuées par le réchauffement climatique, et ignorées sous prétexte d’éviter de lutte contre une supposée « écologie punitive ». Monsieur Moudenc a, le mois dernier, encore nié l’évidence en estimant que l’investissement pour l’industrie, même les plus émettrices de gaz à effet comme l’aéronautique, ne devrait pas être freiné par les considérations environnementales.

Comme nous l’avons toujours dit, les conséquences de l’inaction seront toujours plus punitives que celles de la transition écologique et de l’adaptation à nos nouvelles conditions de vie. À Toulouse, ce risque prend plusieurs formes et notamment les chaleurs extrêmes que nous connaissons bien et qui rendent urgente les plans fraîcheur et de rénovation thermique. Mais les conséquences sont inégales entre les territoires : dans notre ville rose, l’impact sur le bâti est fort car notre sol est fait d’argile, plus sensible aux variations de chaleur.

Ainsi, 150 immeubles sont à risque rien que dans le centre-ville. Plus de quarante menaces sérieuses d’effondrement ont été détectées en 2024 et ont dû mener à des évacuations. Pour l’année 2025, nous en sommes déjà à plus d’une vingtaine. Les effondrements de 2018 à Marseille et leur bilan dramatique auraient dû mettre la puce à l’oreille de la municipalité toulousaine. Au lieu de cela, il faudra attendre 2021 pour les premières étapes d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur, grâce auquel la préfecture tente de guérir ce que la mairie n’a pas cherché à prévenir. Plus de 6 000 immeubles et 4 000 parcelles sont aujourd’hui classés et risquent de s’ajouter à terme au chiffre des logements indignes, dont le nombre a doublé depuis 10 ans.

Déjà observée dans le narcotrafic, la marseillisation de la vie toulousaine se confirme. Partout où le clientélisme a fait son nid, les immeubles s’écroulent comme tant de témoins du mauvais usage des deniers locaux. Ces pratiques laissent un trou béant dans nos villes, aux paysages dénaturés par la prévarication. Le bâti qui s’effondre, c’est la marque d’un passé qu’on abandonne : autant dans son héritage historique que dans sa réalité matérielle.

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