François Piquemal

L’Économie Sociale et Solidaire : un levier de revitalisation démocratique

[Tribune parue dans la Revue du Trombinoscope n°306 du mois d’octobre 2025]

Si l’économie se veut sociale et solidaire, c’est qu’elle porte un projet politique : remettre les besoins humains au cœur de l’activité économique pour permettre la bifurcation écologique. Un tel projet ne peut se construire qu’avec et pour les citoyen·nes, en leur donnant les moyens d’y participer pleinement avec leur double casquette de travailleur·euses.

Par sa gouvernance partagée, ses logiques coopératives et son ancrage territorial, l’Économie Sociale et Solidaire dépasse le seul cadre économique : elle est un levier de revitalisation démocratique. Parce que nous avons fait le choix, en tant que société, de soumettre les décisions collectives à la délibération collective, l’ESS doit être soutenue par l’action publique. Non pas pour être dirigée d’en haut, mais pour être accompagnée, consolidée, mise à l’échelle — tout en respectant son essence démocratique.

Cette ambition suppose une double démocratisation de l’ESS. D’une part, il s’agit de l’étendre à de nouveaux champs : sécurité sociale de l’alimentation et du logement, énergie renouvelables locales, numérique responsable… autant de domaines où la demande de souveraineté traduit les aspirations des citoyen·ne·s à reprendre la main sur des choix qui les concernent directement.

Les collectivités territoriales sont les mieux placées pour porter cette dynamique. Proches des habitants, elles peuvent favoriser l’émergence d’une ESS de proximité, co-construite avec les citoyen·nes. Encore faut-il qu’elles disposent des moyens pour agir. C’est là que l’État a un rôle fondamental : préparer les conditions de cette transition démocratique et solidaire.

Trois leviers sont essentiels :

  • L’action : en dotant les collectivités d’un cadre juridique pour la gestion des biens communs et en sollicitant l’opinion publique sur la reprise en main démocratique de ces communs, en suivant l’exemple du référendum italien de 2009 concernant la reprise en gestion publique de l’eau par les municipalités désireuses
  • Le financement : en garantissant des moyens structurels à l’ESS, hors des logiques de mise en concurrence, pour favoriser la coopération entre projets citoyens.
  • La coopération : en créant des pôles réunissant collectivités, structures de l’ESS, universités et services publics, pour redéployer ensemble des services essentiels (énergie, transport, logement, éducation…)

Un outil structurant pourrait incarner cette convergence : les monnaies locales complémentaires. En connectant ESS, acteurs territoriaux et citoyen·nes, elles favorisent une économie locale démocratique et résiliente. Les entreprises y ayant recours voient leur chiffre d’affaire augmenter de 8 à 16%. Pour une collectivité, régler une facture ou une prestation en monnaie locale génère 25 à 55% supplémentaire de production de richesse sur le territoire par rapport à l’euro.

L’État peut alors encourager les collectivités à soutenir ces monnaies en favorisant la cohésion entre ses administrations d’un territoire à l’autre vis-à-vis de leur usage et leur acceptabilité, en investissant dans le développement de ces monnaies et dans leur circulation, ainsi qu’en informant sur leur usage quotidien et leurs atouts.

Voilà le rôle de l’État dans l’ESS : élargir le cadre qui permettra aux collectivités et aux citoyen·nes de générer et de se saisir des nouveaux outils d’implication démocratique et économique. Pourrait-on aller plus loin, et imaginer que demain la participation des citoyen·nes à la démocratie locale serait reconnue et valorisée, à l’image du misthos institué par Périclès à Athènes ? Rémunérer l’engagement démocratique en monnaie locale : une idée pour faire enfin entrer la démocratie dans l’économie, et l’économie dans la démocratie.

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