De mémoire de Toulousain on aura rarement vu autant de monde dans la file d’attente devant le Musée des Abattoirs à Toulouse. En ce jeudi 5 décembre il ne s’agit pas des 12 000 manifestant.e.s pour la manifestation de la fonction publique, mais bien de celles et ceux attendant d’entrer dans une exposition attendue : le musée imaginaire d’Oli.
Oui Oli, de Big Flo et Oli, qui s’empare du musée d’art contemporain des Abattoirs pour nous présenter son musée, ses œuvres, ou plutôt celles de personnes qui l’inspirent dans sa création et dans son imaginaire.
On vous voit venir les sceptiques, et bien je vous le dis tout de suite : l’exposition est une réussite.
J’ai même envie de dire : enfin ! Une exposition aux Abattoirs qui arrive à mêler culture populaire et exigence artistique. Nous qui pâtissons d’une politique culturelle assez médiocre à Toulouse en comparaison avec des villes comme Nantes ou Lyon qui sont bien plus actives que nous, il était temps d’expérimenter et si Oli, sa popularité et ce qu’il incarne peut y aider alors : banco !
Cela d’autant plus que le parcours de l’exposition est très bien pensé et que certaines œuvres nous font rentrer plus profondément dans ce qui semble l’interroger : nos identités. On s’arrête devant les écrans nous montrant le dialogue d’une grand-mère avec sa fille, puis sa petite fille, des générations mêlées qui semblent se livrer des secrets (j’ai malheureusement oublié le nom de l’artiste donc si quelqu’un le connait vous pouvez m’envoyer un message). La mère d’Oli, Patricia, grimée en Marilyne Monroe d’Andy Warhol, et qui prend des airs d’Oum Kalthoum, un tableau noir de Pierre Soulages dont les nuances et les lueurs semblent toujours interroger nos origines.
Plus loin, on se retrouve face à un mur recouvert d’une cinquantaine d’œuvres : un mélange de pièces de musée comme le tableau d’éléphant bleu de l’artiste toulousain Karl N’da Adopo, un Keith Haring, une lithographie de Miro et au milieu des objets appartenant à l’artiste, un maillot de Maradona signé par la main de Dieu elle-même, un album dédicacé d’Eminem. Des souvenirs au milieu d’un kaléidoscope, ceux qui me ramènent dans le quartier Almagro à Buenos Aires en 2008 ou au bruit de la pluie avant que ne commence le refrain de Dido sur le titre Stan avec le rappeur de Détroit.
C’est aussi toute la réussite de cette exposition : réussir à faire sens commun au travers de références culturelles semblant lointaines entre elles et pourtant nous étant toutes si familières. Le clou de cette abondance de références populaires se situe dans la dernière salle, un « musée à ciel ouvert » où l’on retrouve Fafi qui peint une de ses célèbres poupées à côté d’un graff de Reso, Dran et Sike, un hommage à l’école graffiti toulousaine, une des meilleures en France bien que si peu mise en valeur par la municipalité. Face aux graffs, la reconstitution d’un Kebab éclairé dans la nuit, lieu de cuisine populaire par lequel tous les jeunes et moins jeunes Toulousains ayant une petite faim sont passés au moins une fois. Un décor qui rappelle une ville vivante, loin de l’aseptisation rampante qu’elle subit depuis des années.
Le musée à ciel ouvert d’Oli donne à voir une ville qui bouge et n’a pas peur d’un geste artistique qui naitrait dans ses marges. Des vidéos de wagons graffés apparaissant sur un écran façon Gloire à l’Art de Rue de la Fonky Family y font écho.
C’est cette ville bouillonnante, créative, qui est donnée à voir, le tout mâtiné d’un imaginaire créolisé. Lorsqu’on me demande ce qu’est la créolisation, ce concept politique emprunté au poète Edouard Glissant, j’ai tendance à répondre que la cérémonie d’ouverture des JO 2024 était un manifeste de la créolisation ; je pourrai désormais ajouter que le musée imaginaire d’Oli en est une des pierres à l’édifice. Une culture qui revendique son multiculturalisme, qui puise dans ses identités venues des quatre coins du monde pour penser un nouvel horizon émancipateur.
N’en déplaise aux réactionnaires et à la fachosphère, notre pays et notre ville de Toulouse sont créolisés, pour le meilleur, cette exposition le prouve. En cela elle n’est pas qu’une réussite artistique, elle est aussi une réussite sociale. L’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne dit un excellent rappeur, cette exposition ouvre en grand l’esprit et les portes des Abattoirs : soyons en heureux. Bravo à Oli et à l’équipe du musée des Abattoirs dans son ensemble.