Le 23 novembre dernier nous apprenions avec plaisir que Sophie Adenot serait la nouvelle astronaute française. C’est unefierté de voir cette ancienne élève de l’ISAE-SUPAERO, l’école d’ingénieurs toulousaine qui a également formé Thomas Pesquet et pas moins de quatre autres astronautes de l’ESA (l’Agence Spatiale Européenne). Cela marque l’excellence française en matière de spatial, dont la région toulousaine est un des foyers.
Cette date ne doit pas en cacher une autre, dommageable pour la politique spatiale française : le 3 juillet 2020, qui marque un tournant inquiétant dans la politique spatiale française, avec le passage du Centre national d’études spatiales sous tutelle du ministère des Finances, qui l’a arraché aux ministères de la Recherche et de la Défense. Ce changement est tout sauf anodin : il met en péril l’exception française, notre engagement dans l’exploration spatiale, notre capacité à produire des connaissances, l’avenir de la filière et les qualifications des 33 200 salariés et chercheurs (près d’un tiers en Occitanie) qui assurent le service public de l’espace. Pilierde l’odyssée spatiale française, le CNES est mis à mal par le nouveau Contrat d’objectifs et de performances. Signe du malaise : l’intersyndicale fait bloc et même des chefs de bureaux ou de service rejoignent les assemblées générales !
Lorsqu’on parle d’espace, il s’agit de notre quotidien. Des missions scientifiques aux applications technologiques et commerciales, les réussites du CNES touchent une variété d’usages. Les télécommunications, l’observation de la Terre, l’analyse du dérèglement climatique, jusqu’aux recherches en microgravité à bord des stations spatiales, sont toutes permises par le travail du CNES. Pour se repérer dans la rue avec un positionnement satellite, ou pour anticiper la météo, on dit merci au CNES ! Sans oublier le succès des programmes d’Ariane, d’Airbus et Thalès auxquels il a fortement participé.
Ainsi, notre pays dispose de savoir-faire exceptionnels, résultat de politiques publiques qui ont fait de la France une des Nations les plus avancées sur la question de l’espace et de l’aéronautique dès les années 60. Le CNES y joue un rôle central. Depuis sa création en 1961, son rôle a toujours été de « courir devant », véritable tête pensante de nos avancées spatiales. Chef d’orchestre du spatial, il assurait l’existence d’un secteur de pointe. Premièrement, il effectuait le lien entre les domaines scientifique, industriel et militaire, via des innovations de rupture et des technologies duales.
Deuxièmement, il concentrait la décision politique, l’exécution administrative et l’expertise technique. Cette capacité transversale est menacée : Bercy colonise la décision politique, l’expertise technique est déléguée à des start-ups privées, et le CNES se retrouveen position de tirelire impuissante. Sa vocation historique, voulue par De Gaulle dans un consensus national robuste, est ouvertement attaquée par Emmanuel Macron.
Quelles sont les conséquences d’un tel tournant ? D’abord, sous tutelle du ministère des Finances, le CNES devient le bras armé d’une vision mercantile de l’espace. Les savoirs n’ont désormais de sens qu’en rapport avec leur rentabilité prévue –or, il est souvent impossible de prédire les retombées économiques d’une connaissance ! Cette vision engage une privatisation du spatial, terrain de jeu pour investisseurs. La privatisation de la filière des lanceurs Ariane et, en interne, la destruction de la Direction des lanceurs, confirment un sabotage technologique sans précédent. Et ce, au profit de start-ups, objets de toutes les attentions financières, imaginées comme les « jeunes pousses » d’un improbable New Space français dont on attend toujours que Bruno Le Maire nous donne la définition et l’orientation.
C’est donc tout l’écosystème qui est menacé. Car l’intérêt de programmes publics structurants est triple. D’abord, la concentration et la mutualisation des moyens permet de multiplier les percées en croisant les regards. Ensuite, car la sérendipité –c’est-à-dire l’innovation aléatoire et imprévue –y trouve toute sa place dans les échanges entre collègues, alors que la juxtaposition de petitesunités temporaires limite le dialogue scientifique. Finalement, car un programme de long-terme peut emporter la conviction et l’enthousiasme des équipes, là où une succession de projets courts borne l’acquisition de nouvelles compétences.
Le CNES est donc déboussolé par les financiers de Bercy. Puisque l’excellence technique est bradée, la transmission des savoir-faire est menacée. Les jeunes rêvent d’espace, mais plus forcément d’une carrière au CNES : faute de perspectives offertes aux nouvelles générations d’ingénieurs, face au gel des postes de chercheurs, rebutés par l’imitation des lubies de l’industrie spatiale privée, ils préfèrent l’original à sa copie publique.La situation est d’autant plus grave qu’aucune discussion démocratique ne semble possible. Quelle est la feuille de route des six administrateurs publics au Conseil d’administration ? Qu’ont-ils voté au cours des délibérations ? Quel est le bilan des start-ups subventionnées en termes de résultats scientifiques ? Quels sont les objectifs du CNES en matière de savoirs, à cinq, dix et quinze ans ? Ces informations devraient être disponibles et discutées. Elles demeurent dissimulées et occultées.
C’est pourquoi nous, parlementaires NUPES de la Haute-Garonne, à l’heure où l’Agence spatialeeuropéenne annonce une augmentation conséquente de 16% de budget (17 milliards d’euros pour les cinq prochaines années), exigeons des pouvoirs publics un renforcement du CNES, en consolidant son statut de maître d’ouvrages et en sanctuarisant son rôle de pointe avancée de la recherche spatiale.
La privatisation a instauré le bazar. Remettons de l’ordre : une planification publique du secteur, avec des objectifs fermes et évalués, des échéanciers réguliers pour des programmes de long-terme et une communication au grand public ainsi qu’à la communauté universitaire des résultats scientifiques.
Cela implique de sortir le CNES du giron de Bercy. En plaçant les savoirs de long-terme au-dessus des exercices comptables mesquins, nous pourrons revaloriser les métiers du CNES, sur le plan des salaires et des qualifications. Un des meilleurs moyens pour cela consiste à internaliser la recherche plutôt que de s’appuyer sur des start-ups fragiles et coûteuses, afin de mettre les ressources humaines en adéquation avec les ambitions. C’est pourquoi le plan social de 500 suppressions de postes en Guyane est inadmissible pour l’avenir du spatial français et pour le tissu scientifique de la région. Il faut penser l’écosystème spatial dans son ensemble, et donc protéger les savoir-faire comme ceux de l’usine Cnim AirSpace à Ayguesvives qui produit depuis 1971 des ballons extra-atmosphériques. Grâce à eux, le CNES mesure la qualité de l’air ou l’effetde filtre de la couche d’ozone.
Le CNES est aussi l’outil avancé d’une vision géopolitique. Celle qui tracerait le chemin d’une diplomatie spatiale de paix et de protection des biens communs spatiaux, contre les acteurs du New Space, via un nouveau Traité de l’Espace garantissant l’espace extra-atmosphérique comme bien commun ne pouvant être ni exploité ni approprié.
Notre pays consent les dépenses les plus élevées du monde par habitant pour l’espace. Cela nous donne un devoir moral, une exigence politique et des moyens formidables. Donnons un cap au grand service public de l’espace !
Signataires :Dorine Béna (Conseillère Municipale de Cugnaux), Christophe Bex (Député HG), Julien Cadieu (Conseiller Municipal deL’Union), Hadrien Clouet (Député de Haute-Garonne), Hélène Magdo (Conseillère Municipale deToulouse),Marc Péré (Maire de l’Union), François Piquemal (Député de Haute-Garonne), Agathe Roby (ConseillèreMunicipale deToulouse), Anne Stambach-Terrenoir (Députéede Haute-Garonne)