Où il est question de naming, de copropriétés dégradées et de Conseils Citoyens tout aussi dégradés.
On est début mai et ça tape déjà fort à Montpellier. Cette fois nous rejoignons ma collègue LFI-Nupes Nathalie Oziol et son équipe à la Paillade pour une nouvelle étape d’Allo Anru.
Alors La Paillade en fait c’est la Mosson, mais croyez-moi quand vous êtes là-bas vous ne savez plus comment appeler le quartier. Parce que les habitants tiennent à l’appeler La Paillade, mais officiellement c’est La Mosson.
En fait pour saisir cet imbroglio il faut savoir qu’au début des années 2000 le quartier a été volontairement rebaptisé par la municipalité de Georges Frêche avec l’arrivée du terminus du tramway. Le ciel bleu, Georges Frêche, sans accumuler les clichés sur Montpellier, l’influence que les deux ont eu sur la ville est encore latente.
Que cela soit en matière d’héliotropisme, pour de nombreux arrivants devenus ses habitants et pour corolaire la flambée immobilière, dans sa structuration urbaine, mais aussi dans le clientéliste qui peut y exister.
Ce qui est notable c’est que ce changement de nom du quartier visait à gommer l’image trop négative de ce dernier. La Paillade n’est donc désormais officiellement qu’un sous-quartier de celui de la Mosson. Ce « naming » n’est pas un exemple unique de quartier ayant changé de nom sous la férule de collectivités espérant en changer l’image avec un projet de rénovation ou l’arrivée ici d’un transport en commun.
Pourtant les problèmes à la Paillade demeurent, c’est ce que nous allons constater tout l’après-midi avec ma collègue Nathalie Oziol en échangeant avec les habitants. Ce quartier compte 21 000 habitants sur les 300 000 que comptabilise Montpellier.
Il a été bâti dans les années 1960 comme de nombreux autres des Grands Ensembles. Ici les immeubles appartiennent soit à des offices HLM, beaucoup à celui de la Métropole, l’ACM, ou sont des copropriétés dégradées.
Petite parenthèse. Depuis que je m’intéresse aux questions de logement, Montpellier a toujours été une ville impactée particulièrement par la question des co-propriétés dégradées. Ainsi au mitan des années 2000 j’ai eu l’occasion de visiter le Petit Bard, quartier où 58% de la population était sous le seuil de pauvreté et où des immeubles entiers se dégradaient en raison de la défaillance de nombreux syndics. Une association « Justice Pour le Petit Bard » avait alors mené une longue lutte, avec à sa tête un habitant très respecté et décédé depuis, Abdennour Tataï. La Tour H haute de 50 mètres et composée de 18 étages avait d’ailleurs été détruite dans le cadre de l’ANRU en 2014.
On compte aujourd’hui 110 000 co-propriétés dégradées en France selon CDC Habitat, et le quartier de la Mosson en décompte quelques-unes.
C’est le cas de celle de l’Hortus où les couloirs comme les caves sont jonchés de détritus sur les photos que nous montrent les habitants. Surplombant le barnum installé par les militants se trouve plusieurs autres tours.
Une habitante de l’une d’elle, Fazia*, m’explique qu’elle vit dans cette copropriété depuis 15 ans. Le syndic de son immeuble a changé à plusieurs reprises, avec à chaque fois des gestions calamiteuses voire des soupçons de détournement d’argent. Désormais son immeuble est promis à la démolition. Elle n’est pas convaincue par la nécessité de le démolir, elle préférerait une réhabilitation, mais est surtout très inquiète pour le rachat de son appartement dans le cadre de cette opération.
Fazia nous raconte qu’elle a acheté son appartement, un F4, 100 000 euros en 2008 mais que désormais on lui propose de le racheter 60 000 euros afin qu’elle quitte les lieux. Dans le même temps elle paie des charges mensuelles de 700 euros alors que l’immeuble ne cesse de se dégrader.
Même inquiétude pour un autre habitant d’un immeuble du quartier, lui aussi en copropriété. Le concernant il possède un F3 de 70 m² acheté 80 000 euros en 2013, on lui en propose désormais 57 500 euros. Il ne sait pas comment il peut se reloger, il travaille dans la fonction publique avec un salaire de 2000 euros par mois, mais les appartements situés dans le quartier d’à côté coûtent pas moins de 130 000 euros pour un F2.
Pourtant pour le programme ANRU initial prévoyait la rénovation des ces immeubles. Le changement de municipalité a fait virer de bord le projet, désormais c’est la démolition qui s’impose sous l’égide de la SERM (société d’économie mixte ayant pour « mission essentielle d’assurer le développement harmonieux du territoire » et « agissant principalement au nom et pour le compte de la Ville de Montpellier, de Montpellier Méditerranée Métropole »).
Cette dernière rachète au prix du marché dans le quartier, un prix qui a baissé de par le délaissement du quartier depuis des années, sans compter la gestion calamiteuse des syndics successifs : les habitants ont vécu un an sans eau chaude avec des ascenseurs régulièrement en panne.
Le retrait de ces copropriétés du programme ANRU, qui ici aurait permis de réhabiliter les immeubles, est très mal vécu par les habitants, qui ne comprennent pas comme le projet initial évalué sur La Paillade et le quartier voisin des Cévennes est passé de 1 milliards d’euros à 500 Millions d’euros.
En face de nous le sort d’une autre tour préoccupe les habitants, celui de la Tour Assas, immeuble le plus haut de tout Montpellier : 22 étages promis à la démolition égaleme,t, au grand désappointement des habitants
En effet la Tour Assas compte 8 appartements par étage allant de 47m² et 96 m², et aurait pu être réhabilitée. Gérée par l’ACM (office public de l’habitat de Montpellier Métropole), elle doit tomber d’ici une année. D’ici là la municipalité a d’ores et déjà libéré le dernier étage pour que les montpelliérains et les touristes viennent bénéficier d’une vue exceptionnelle sur Montpellier. Pour cela ils ont dû refaire des travaux liés à la sécurité, notamment de vannes incendies qu’ils refusaient de faire auparavant selon les habitants, ce qui accentue le ressentiment de ces derniers.
L’immeuble est l’objet d’initiatives artistiques de plus ou moins bon goût, ainsi le jour où nous y sommes une performance de funambule reliant un deux bâtiments dont celui de la Tour Assas est en cours sous les yeux et les encouragements des habitants. Des encouragements ponctués d’interrogations toutefois: « ils mettent beaucoup d’argent là-dedans, mais on aurait surtout besoin qu’ils investissent pour des travaux dans nos immeubles. »
Plus choquant, sur les boîtes aux lettres désormais vides de la tour, des petits mots censés illustrer le départ joyeux des habitants ont été placés en guise d’étiquette, du style : « Partis prendre du bon temps entre deux cocotiers. ». Des mots qui heurtent les habitants y demeurant encore qui savent à quel point le relogement ne ressemble pas à un voyage exotique mais surtout à des galères.
De guerre lasse, la Tour Assas va rejoindre les poussières des 5 tours de la Paillade de 17 étages chacune détruites à l’occasion du premier programme ANRU.
Ce qui désarçonne les habitants c’est leur sentiment de n’avoir pas été pris en compte dans les choix d’aménagement de leur quartier. Fazia m’explique ainsi faire partie du Conseil Citoyen, que les habitants y sont nombreux, mais que ce dernier ne sert à rien si ce n’est une chambre d’enregistrement des doléances.
Il est intéressant de revenir ici sur ces fameux Conseils Citoyens dont on entend parler souvent au sujet de la rénovation urbaine.
Voici comment ils sont définis dans une brochure de l’Agence de la Cohésion des Territoires :
Inscrit dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, le principe de la co-construction de la politique de la ville doit permettre d’associer les habitants et acteurs des quartiers prioritaires à la gouvernance de cette politique partenariale.
Différentes modalités de participation coexistent au sein des 1 514 quartiers de la politique de la ville mais toutes poursuivent le même objectif : la prise en compte de la parole des habitants et acteurs des quartiers prioritaires. Associés à l’élaboration et à la mise en œuvre de projets qui les concernent, ces « maîtres d’usage » constituent des relais efficaces facilitant l’appropriation collective des évolutions proposées. Pour mettre en œuvre la co-construction, la loi du 21 février 2014 a prévu la création des conseils citoyens.
Partant d’une idée louable, ouvrir davantage la décision aux habitants, les Conseils Citoyens se révèlent dans de nombreux endroits avoir été minorés par les institutions et peuvent devenir le réceptacle des frustrations des habitants, comme le dit bien Fazia : « La dernière fois, ils nous ont convoqué pour nous présenter leur projet de démolition, on est revenu dégoûté, ils ont pris nos email, nos numéros ».
Ces derniers sont tirés du rapport Bacqué-Mechmache, réalisé à la demande du Ministre de la ville de l’époque François Lamy et livré en 2013. Même si ce n’est pas des Conseils Citoyens que préconisait ce rapport mais des tables de quartier, créées à l’initiative des habitants, c’est bien ces conseils qui ont été retenus et rendus obligatoires.
Il ne s’agit donc pas d’une instance initiée par les habitants, mais par les institutions, sous contrôle du préfet. On a donc créé un dispositif très descendant, en l’imposant aux municipalités pour y convoquer les habitants.
Car s’ils sont théoriquement autonomes et indépendants des pouvoirs locaux, il est pourtant du pouvoir des municipalités de les mettre en place et de celle du préfet de les entériner.
Les Conseils doivent être formés de deux collèges paritaires : l’un composé d’habitants du quartier et un autre d’acteurs locaux volontaires, associatifs et économiques. « Le premier collège des habitants est constitué par tirage au sort, dans l’objectif d’associer des citoyens « ordinaires » qui ne sont pas inclus dans les arènes classiques de la participation. Leur composition fait l’objet d’un arrêté du préfet ce qui, tout en leur donnant une légitimité officielle accordée par le représentant de l’État « au-dessus » du maire, contribue néanmoins à la figer. Plusieurs recherches sur le tirage au sort montrent que ce mode de représentation, pour être véritablement démocratique, nécessite une rotation de ses participants, un mandat limité dans le temps et des objets ciblés de délibération. »
Il s’avère également que les modalités de tirage au sort sont différentes d’une commune à l’autre : « les enquêtes montrent qu’alors que certaines essayent de jouer le jeu en mobilisant différents fichiers (locataires, CAF, listes électorales…), d’autres en restent à une liste de volontaires. D’autres encore recourent au porte-à-porte et dans certains cas, comme à Lille et Amiens, plusieurs méthodes sont combinées pour « remplir » à tout prix les Conseils Citoyens. »
Les Conseils Citoyens ont aussi échoué à mobiliser les habitants des quartiers jusqu’ici éloignés des dispositifs de concertation traditionnellement proposés par les institutions. « Dans la plupart des cas, les conseillers citoyens tirés au sort ne répondent pas ou viennent un temps, pour disparaître rapidement. Il faut souligner qu’en dépit de l’ingénierie déployée par endroits pour véritablement tenter de mobiliser au-delà des habitués de la participation, il n’y a pas de suivi une fois les CC mis en place, ni d’adaptation des formats traditionnels qui leur permettrait de trouver une place. »
L’une des carences principales des Conseils Citoyens est que les moyens de la participation n’y sont pas fixés clairement. S’ils doivent disposer d’un budget spécifique celui-ci est à la discrétion des collectivités et varie beaucoup en fonction de la volonté de ces dernières. Par exemple la chercheuse Léa Billen a montré à Romainville comment le Conseil Citoyen en est resté à étudier « des éléments « traditionnellement examinés dans d’autres dispositifs participatifs », comme le relogement, la gestion du temps de chantier ou les dispositifs d’information aux habitants. Ce faisant, les enjeux politiques et la dimension conflictuelle ont été évacués, au profit d’échanges sur des questions techniques. Si l’on suit son analyse, la co-construction ne peut advenir sans intégration du conflit. »
Les Conseils Citoyens semblent donc souvent des coquilles vides du point de vue de l’impact réel que peuvent y avoir les habitants pour peser sur les projets de rénovation urbaine touchant leurs quartiers.
Un problème démocratique sur lequel se penchent des associations comme Pas Sans Nous, Appui, ainsi que mon collègue EELV-Nupes, Charles Fournier.
C’est la fin d’après-midi, et en y repensant notre barnum, les tables installés par les militants ressemblent finalement à ces tables de quartiers proposés par le rapport Bacqué-Mechmache. Une trentaine d’habitants sont passés en l’espace de deux heures, ont peu nous faire part de leur retour sur la rénovation de leurs quartiers, leurs désillusions, leurs espoirs.
Un moment déchange sans verbiage technocratique et sans faux-semblant, loin de ces réunions de concertation où les habitants sont souvent mis face à leur impuissance à pouvoir choisir le devenir de leur quartier.
Ma collègue Nathalie Oziol a déjà pris le problème à bras le corps et compte poursuivre la lutte avec les habitants.
*Le prénom a été changé
** https://www.cairn.info/revue-participations-2019-2-page-5.htm