C’est la rentrée et il faut trouver les mots

Des mots pour dire qu’un homme est mort assassiné, qu’il s’appelait Samuel Paty. Qu’il est mort parce qu’il a fait son métier : enseigner l’Education Morale et Civique. La liberté d’expression, dont le droit au blasphème des religions, en faisait partie.

Des mots car trois autres personnes sont mortes assassinées aussi dans une église à Nice, parce qu’elles croyaient précisément en une religion.

Des mots sur le confinement après le couvre-feu. Des mots sur les soignant-e-s débordé-e-s.

Des mots qui doivent éclairer un peu toute cette obscurité. Pas évident.

Ces mots j’espérai pouvoir les trouver avec mes collègues lors des deux heures que nous devions avoir en début de matinée pour échanger, se parler. Même ce temps ils nous l’ont enlevé.

Nous allons donc devoir trouver les mots seuls comme souvent. Parce que leur monde d’après à eux ressemble à ça : débrouillez vous. Sa réinvention est donc celle-ci : métro (voiture pour moi) – boulot-dodo. Original.

Que dire alors à nos élèves ?

Des mots sincères et qui rassemblent plutôt qu’ils n’invectivent ou divisent comme ceux de Blanquer.

Des mots qui réconfortent et qui assument leurs responsabilités contrairement à ceux de Darmanin.

Des mots qui n’humilient pas à genoux contre un mur en disant que c’est comme ça qu’une classe se tient sage comme Castaner.

Des mots sur la liberté d’expression, d’où elle vient, notamment des cafés lors de la Révolution, lieux de sociabilité, d’une possible rencontre avec l’autre, aujourd’hui fermés.

Jusqu’où peut t-elle aller ? Rappeler la loi.

Des mots pour expliquer que même quand elle condamne la loi, un milliardaire comme Bolloré peut laisser sur orbite la haine de Zemmour s’exprimer.

Des mots pour dire que oui on a le droit de se moquer, d’insulter, de raconter n’importe quoi comme sur Cnews, que l’on n’est pas obligé d’apprécier cela, c’est même recommandé, et en droit de le critiquer dans le débat public, et même devant la Justice.

Mais jamais dans la violence physique.

Des mots pour raconter que toutes les croyances religieuses ou politiques ont leurs dérives et leurs fanatiques. Que c’est le cas des terroristes islamistes, que c’était déjà le cas dans notre région, en Occitanie, il y a quelques siècles lorsque l’Inquisition Languedocienne catholique chassait tout ce qui ressemblait à un hérétique ou à une sorcière.

Des mots pour montrer que c’est le propre des fanatiques religieux de s’en prendre d’abord à leur coreligionnaire pas assez «purs », et qu’aujourd’hui d’ailleurs les musulmans sont les premières victimes du terrorisme islamiste dans le monde.

Des mots pour rappeler que les fanatismes s’alimentent plus loin qu’entre Nice et Avignon, et que c’est précisément leur objectif de créer une tension inéluctable amenant à une guerre de civilisation ou de religion.

Des mots pour se souvenir que les guerres de religion on a déjà donné en France, au XVIème siècle, entre protestants et catholiques, avec pour point d’orgue le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572.

Des mots pour marteler que dans toutes les religions il y a des hommes et des femmes de bien. Il y a des noms qui ont élevé l’humanité, hier et aujourd’hui. Des noms qu’on ne prononce et n’enseigne jamais assez comme ceux d’Olga Bancic, d’Abdelkader Mesli, de Germaine Ribière parmi tant d’autres.

Des noms plus proches avec ou sans religion, ceux de Bârin Kobané, d’Asia Ramazan Antar, d’Arin Mirkan. Trois combattantes kurdes mortes au combat face à Daesh.

Ceux de Frédéric Demonchaux, Olivier Le Clainche, Farid Medjahed, trois français partis aussi combattre Daesh aux côtés des kurdes en Syrie. Morts au combat, et dont les amis politiques sont aujourd’hui traités d’islamo-gauchistes par des politiciens médiocres qui de la main dont ils ne pointent pas du doigt serre celle des pétro-dollars finançant des terroristes islamistes.

Frédéric, Olivier et Farid sont tous trois dans une brigade internationale comme d’autres le firent il y a près d’un siècle de l’autre côté des Pyrénées afin de lutter contre un autre type de fascisme. On les qualifiait souvent à l’époque de « judéo-blochéviques ». Un stigmate chasse l’autre.

Des mots encore pour les kurdes en première ligne du combat contre l’islamisme terroriste, lâché par notre gouvernement lorsque la Turquie lança son offensive contre eux le 9 octobre 2019.

Des mots pour répondre aux questions sur la tension montante avec la Turquie justement, gouvernée par un nationaliste, M. Erdogan. Un pays avec lequel nous avons partagé jusqu’à une de nos exceptions, pas sous la même forme mais avec le même mot : la laïcité.

 Des mots encore donc pour expliquer une énième fois la Laïcité, loi 1905, rien que la Loi. Pas pour contraindre mais pour protéger tous ceux qui croient, et ceux qui ne croient pas.

Des mots pour se méfier de ceux qui projettent leur fantasme d’exclure telle ou telle « communauté » aujourd’hui au nom de la laïcité.

Des mots sans masques pour dire que la période est compliquée, entre ça et le confinement.

Des mots pour les confiné-e-s, celles et ceux qui seront dans des appartements sur-occupés. Des mots pour les parents dans les hôpitaux, à la caisse, à l’usine, sans-emplois.

Des mots sans filtres pour décevoir car il n’y aura pas Lycéens au Cinéma cette année étant donné qu’ils ont fermé tous les lieux culturels.

Des mots pour se protéger en n’oubliant pas d’être légers et de ne pas être trop sérieux, surtout à 17 ans.

Des mots pour acter de ne pas trop attendre  des gens au pouvoir pour respirer un peu mieux dans les décennies à venir et réenchanter un monde qui en a tant besoin.

Des mots pour finir qui rappellent toujours que l’amour des siens ce n’est pas la haine des autres.

PS : Mon obligation de neutralité ne me permettra pas bien sûr de dire tous ces mots. Je ne nommerai donc aucun ministre actuel, ni le gouvernement et n’émettrait aucun avis d’ordre politique. Comme je m’y suis toujours attaché dans mes cours et m’y attacherai sans cesse.

Je préfère le préciser, car M. Blanquer, chantre de la liberté d’expression, a fait sanctionner au Havre en 2019 une directrice d’école qui a eu le malheur de critiquer sa réforme depuis sa boîte mail académique…. Une réforme qui s’en prend précisément à la liberté d’expression des enseignants et fait régner un climat de suspicion que je préfère déminer dans ce Post Scriptum. Bon courage à tous mes collègues, aux élèves, à leurs parents.

Crédit photo: Tien Tran

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