François Piquemal

C’est la rentrée et il faut trouver les mots

Des mots pour dire qu’un homme est mort assassiné, qu’il s’appelait Samuel Paty. Qu’il est mort parce qu’il a fait son métier : enseigner l’Education Morale et Civique. La liberté d’expression, dont le droit au blasphème des religions, en faisait partie.

Des mots car trois autres personnes sont mortes assassinées aussi dans une église à Nice, parce qu’elles croyaient précisément en une religion.

Des mots sur le confinement après le couvre-feu. Des mots sur les soignant-e-s débordé-e-s.

Des mots qui doivent éclairer un peu toute cette obscurité. Pas évident.

Ces mots j’espérai pouvoir les trouver avec mes collègues lors des deux heures que nous devions avoir en début de matinée pour échanger, se parler. Même ce temps ils nous l’ont enlevé.

Nous allons donc devoir trouver les mots seuls comme souvent. Parce que leur monde d’après à eux ressemble à ça : débrouillez vous. Sa réinvention est donc celle-ci : métro (voiture pour moi) – boulot-dodo. Original.

Que dire alors à nos élèves ?

Des mots sincères et qui rassemblent plutôt qu’ils n’invectivent ou divisent comme ceux de Blanquer.

Des mots qui réconfortent et qui assument leurs responsabilités contrairement à ceux de Darmanin.

Des mots qui n’humilient pas à genoux contre un mur en disant que c’est comme ça qu’une classe se tient sage comme Castaner.

Des mots sur la liberté d’expression, d’où elle vient, notamment des cafés lors de la Révolution, lieux de sociabilité, d’une possible rencontre avec l’autre, aujourd’hui fermés.

Jusqu’où peut t-elle aller ? Rappeler la loi.

Des mots pour expliquer que même quand elle condamne la loi, un milliardaire comme Bolloré peut laisser sur orbite la haine de Zemmour s’exprimer.

Des mots pour dire que oui on a le droit de se moquer, d’insulter, de raconter n’importe quoi comme sur Cnews, que l’on n’est pas obligé d’apprécier cela, c’est même recommandé, et en droit de le critiquer dans le débat public, et même devant la Justice.

Mais jamais dans la violence physique.

Des mots pour raconter que toutes les croyances religieuses ou politiques ont leurs dérives et leurs fanatiques. Que c’est le cas des terroristes islamistes, que c’était déjà le cas dans notre région, en Occitanie, il y a quelques siècles lorsque l’Inquisition Languedocienne catholique chassait tout ce qui ressemblait à un hérétique ou à une sorcière.

Des mots pour montrer que c’est le propre des fanatiques religieux de s’en prendre d’abord à leur coreligionnaire pas assez «purs », et qu’aujourd’hui d’ailleurs les musulmans sont les premières victimes du terrorisme islamiste dans le monde.

Des mots pour rappeler que les fanatismes s’alimentent plus loin qu’entre Nice et Avignon, et que c’est précisément leur objectif de créer une tension inéluctable amenant à une guerre de civilisation ou de religion.

Des mots pour se souvenir que les guerres de religion on a déjà donné en France, au XVIème siècle, entre protestants et catholiques, avec pour point d’orgue le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572.

Des mots pour marteler que dans toutes les religions il y a des hommes et des femmes de bien. Il y a des noms qui ont élevé l’humanité, hier et aujourd’hui. Des noms qu’on ne prononce et n’enseigne jamais assez comme ceux d’Olga Bancic, d’Abdelkader Mesli, de Germaine Ribière parmi tant d’autres.

Des noms plus proches avec ou sans religion, ceux de Bârin Kobané, d’Asia Ramazan Antar, d’Arin Mirkan. Trois combattantes kurdes mortes au combat face à Daesh.

Ceux de Frédéric Demonchaux, Olivier Le Clainche, Farid Medjahed, trois français partis aussi combattre Daesh aux côtés des kurdes en Syrie. Morts au combat, et dont les amis politiques sont aujourd’hui traités d’islamo-gauchistes par des politiciens médiocres qui de la main dont ils ne pointent pas du doigt serre celle des pétro-dollars finançant des terroristes islamistes.

Frédéric, Olivier et Farid sont tous trois dans une brigade internationale comme d’autres le firent il y a près d’un siècle de l’autre côté des Pyrénées afin de lutter contre un autre type de fascisme. On les qualifiait souvent à l’époque de « judéo-blochéviques ». Un stigmate chasse l’autre.

Des mots encore pour les kurdes en première ligne du combat contre l’islamisme terroriste, lâché par notre gouvernement lorsque la Turquie lança son offensive contre eux le 9 octobre 2019.

Des mots pour répondre aux questions sur la tension montante avec la Turquie justement, gouvernée par un nationaliste, M. Erdogan. Un pays avec lequel nous avons partagé jusqu’à une de nos exceptions, pas sous la même forme mais avec le même mot : la laïcité.

 Des mots encore donc pour expliquer une énième fois la Laïcité, loi 1905, rien que la Loi. Pas pour contraindre mais pour protéger tous ceux qui croient, et ceux qui ne croient pas.

Des mots pour se méfier de ceux qui projettent leur fantasme d’exclure telle ou telle « communauté » aujourd’hui au nom de la laïcité.

Des mots sans masques pour dire que la période est compliquée, entre ça et le confinement.

Des mots pour les confiné-e-s, celles et ceux qui seront dans des appartements sur-occupés. Des mots pour les parents dans les hôpitaux, à la caisse, à l’usine, sans-emplois.

Des mots sans filtres pour décevoir car il n’y aura pas Lycéens au Cinéma cette année étant donné qu’ils ont fermé tous les lieux culturels.

Des mots pour se protéger en n’oubliant pas d’être légers et de ne pas être trop sérieux, surtout à 17 ans.

Des mots pour acter de ne pas trop attendre  des gens au pouvoir pour respirer un peu mieux dans les décennies à venir et réenchanter un monde qui en a tant besoin.

Des mots pour finir qui rappellent toujours que l’amour des siens ce n’est pas la haine des autres.

PS : Mon obligation de neutralité ne me permettra pas bien sûr de dire tous ces mots. Je ne nommerai donc aucun ministre actuel, ni le gouvernement et n’émettrait aucun avis d’ordre politique. Comme je m’y suis toujours attaché dans mes cours et m’y attacherai sans cesse.

Je préfère le préciser, car M. Blanquer, chantre de la liberté d’expression, a fait sanctionner au Havre en 2019 une directrice d’école qui a eu le malheur de critiquer sa réforme depuis sa boîte mail académique…. Une réforme qui s’en prend précisément à la liberté d’expression des enseignants et fait régner un climat de suspicion que je préfère déminer dans ce Post Scriptum. Bon courage à tous mes collègues, aux élèves, à leurs parents.

Crédit photo: Tien Tran

Ebru par dessus les toits…

Le Comité de soutien à Ebru Firat a demandé la contribution de militant-e-s pour poursuivre la campagne demandant sa libération. Voici la mienne: Depuis septembre dernier le ciel est moins léger à Toulouse, les reflets de brique sont plus acides. La tragédie que vit Ebru Firat nous touche forcément, tant elle pourrait être une connaissance, notre camarade, notre amie, notre fille, notre sœur.

Depuis septembre dernier le ciel est moins léger à Toulouse, les reflets de brique sont plus acides. La tragédie que vit Ebru Firat nous touche forcément, tant elle pourrait être une connaissance, notre camarade, notre amie, notre fille, notre sœur. 

Je ne connais pas Ebru mais quelque chose dans son visage m’est forcément familier, un sourire, une lumière dans le regard qui marque toute l’espérance et la volonté avec lesquelles peuvent parfois s’engager les jeunes dans des combats pour un monde meilleur, plus juste, plus tolérant. Et quel combat ! Partir au côté du peuple kurde pour lutter contre Daesh et les despotes de la région Erdogan en tête. Tout laisser pour ses idées, dans l’ombre sans lumière, en toute humilité, pour lutter aux côtés d’un peuple, qui est aussi le sien, opprimé de manière séculaire. 

Ebru Firat est une combattante kurde, emblème de la lutte pour l’émancipation des minorités, emblème de la lutte contre le patriarcat, une place des femmes qui donne à penser dans notre pays où à travail égal les femmes touchent moins que les hommes. 
Le DAL, qui fait partie du réseau international No Vox, rassemblant des mouvements luttant pour le droit au logement mais aussi pour le droit à la terre, se sent forcément proche de celles et ceux qui se battent pour les arpents de leur peuple comme c’est le cas au Rojava. Le DAL se sent forcément proche de toutes les femmes qui luttent pour l’égalité, nos luttes étant le plus souvent menées par elles qui prennent leur destin en main ainsi que celui de leurs familles
.
Ebru Firat est aussi une étudiante toulousaine, issue d’une génération qui prend la dégradation des conditions de vie de plein fouet dans l’Hexagone, et qui voit poindre à l’horizon un hiver inquiétant où le repli sur soi et l’intolérance tombent comme de la neige sombre sur notre société. Ebru de cette jeunesse qui s’est mise debout au printemps dernier devant une loi incarnant à elle seule tous les désirs de la Troïka. Ebru de cette jeunesse que l’on dit souvent nihiliste, désabusée, mais qui est bien vivante et qu’on n’empêche pas de rêver même quand on essaie de réduire son temps de repos. Ebru, d’une jeunesse qui a en fait plus d’un idéal dans son sac et qui a la lourde mission de faire face à l’hiver qui vient. Ebru, d’une jeunesse à qui il reste l’espoir comme numéro d’écrou.

Ebru dans son combat, derrière ses barreaux est une des nôtres. Nos luttes peuvent sembler dérisoires par rapport à la sienne, mais il est de notre devoir de lutter où l’on est, près de nos murs, dans nos quartiers, dans notre ville qui est aussi la sienne. Ebru, nos luttes c’est notre manière de ne pas oublier celles et ceux qui sont passé-e-s avant nous, celles et ceux qui comme toi sont privé-e-s de liberté, celles et ceux qui partout dans le monde refusent la fatalité. 
Ebru, nos luttes c’est notre manière de t’envoyer un mandat. Un mandat par dessus leurs murs, un mandat entre leurs barreaux, un mandat par dessus leurs toits. On pense à toi.

François Piquemal (Porte-Parole Sud Ouest DAL).

https://www.facebook.com/Libert%C3%A9-pour-Ebru-Firat-1661001054210428/

https://www.change.org/p/jean-marc-ayrault-libert%C3%A9-pour-ebru-firat?recruiter=616821107&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink

Garde Ta Ligne!

Je ne me souviens plus de la première fois où j’ai pris le train, ni de ma première bouchée de pain. Par contre je me souviens bien de mon premier vol en avion et de de la première fois où j’ai goûté du foie gras. A bien y penser rien d’étonnant. Prendre les trains est pour beaucoup d’habitants de la France aussi courant que la baguette au repas.

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 Une question

Je me souviens plus de mon premier train, mais je me rappelle bien les prairies, les collines, les montagnes au loin, les arbres, le ciel gris qui varie au fil des kilomètres, le fil bleu à l’horizon qui est l’océan, les zones boisées, les zones périphériques, la ville, les villes : l’apprentissage des paysages d’un pays.

Je ne me souviens pas de mon premier train mais je me souviens bien de la première question qu’il m’a posé liée à la découverte des wagons du bout du train dans lesquels mes parents et moi n’étions pas autoriser à nous asseoir. Pourtant en me promenant dans le train ou en suivant les grands au wagon-restaurant, j’avais bien saisi que ces wagons « numéro 1 », c’était comme ça que je les appelais, étaient plus spacieux, avec des fauteuils plus confortables. Je découvrais alors la Première et la Deuxième classe.

J’avais du mal à saisir, que la Première soit réservée à quelques uns, et je proposais pour résoudre ce problème d’envisager une rotation parmi les voyageurs durant le voyage. Après réflexion, face à la complexité de passage qu’aurait produit un tel mouvement, j’en arrivais finalement à une option plus simple : aménager tous les wagons de Seconde classe en Première classe afin que tout le monde puisse profiter d’un meilleur confort. Etonnamment le bon sens ou un certain altruisme ne me faisait pas pencher pour une transformation des wagons de Première en wagons de Seconde classe.

C’est pourtant cette dernière solution que porte en somme le gouvernement dans la réforme sur la SNCF. Au lieu de tendre à ce que le reste des salariés du pays puissent atteindre les supposés « privilèges » des cheminots, qu’il serait plus juste d’appeler des « droits », il préfère niveler par le bas.

La cavalerie lourde

Et pour faire passer cette « réforme » régressive, Messieurs Philippe et Macron peuvent compter avec leur cavalerie lourde pour relayer sur les ondes radios et télévisées les fantasmes sur les cheminots privilégiés. Bien sûr ceux qui se fendent du « courage » de s’attaquer au statut de cette profession en ont beaucoup moins quand il s’agit de s’interroger sur le fait qu’un humain, Bernard Arnault, puisse en deux secondes toucher ce que gagne une grande partie de ces mêmes cheminots en un mois. Le pire de cette communication, aussi malhonnête que balourde, est qu’en partie elle fonctionne.

A croire que vouloir rendre son voisin aussi infortuné que soi semble un mantra toujours efficace, faisant appel à un bas instinct que l’on a tous connu au boulot: on est tous notre privilégié du quotidien, le collègue qui en fait un peu moins, l’ami qui a des meilleures horaires que nous…Mais franchement en quoi le fait que les cheminots aient moins de droits que nous va améliorer notre quotidien?

Comme l’a bien dit M.Besancenot on est tous le cheminot de quelqu’un. A fortiori lorsqu’on le côtoie quotidiennement, contrairement aux PDG du CAC 40. Car si le mantra fonctionne c’est finalement que le cheminot paraît atteignable à tous les habitants quand le PDG aux profits mirobolants semble lui trop éloigné pour que l’on s’attaque à ses vrais privilèges.

Quand on déclare la guerre au mauvais ennemi, on mène toujours de mauvaises batailles, à l’instar de celle que mène le gouvernement en se servant des « usagers » comme chair à canon médiatique pour prendre en otage le service public du rail.

La seule chose qui ruisselle actuellement c’est la précarité

C’est bien de cela dont il faut convaincre toutes celles et ceux qui s’y font embrigader, les encourager à la désertion de l’armée de la rigueur et de la casse du service public. Faire comprendre que ce qui est en jeu c’est de garder nos lignes, les petites et les grandes, et que cela passe par garder la ligne des cheminots pour en faire une ligne d’horizon à atteindre pour tou-te-s à court terme. Car bien sûr si la ligne des cheminots se brise, c’est toutes les autres qui vont subir le poids du ruissellement de la précarité derrière, et à propos de ruissellement, il serait bon de rappeler que la seule chose qui ruisselle des réformes gouvernementales c’est bien la précarité : APL, retraites, service public des transports…Soutenir les cheminots n’est pas une histoire de posture, c’est un choix de société entre vouloir tendre à plus de droits sociaux ou le rabaissement de ceux de tous, c’est un choix entre l’ambition et la médiocrité. Le gouvernement actuel ne déroge hélas pas des précédents en préférant la seconde.

Trente ans après mon premier train, il y a toujours une Première et une Seconde classe, et les gouvernements du néo-libéralisme, de la rigueur, du « réformisme », de la « concertation », de la « modernisation », nous ferons toujours voyager en seconde. Jusqu’ici ils étaient obligés de nous supporter à quelques wagons d’eux, désormais le projet sans projet de l’ex candidat Macron prend forme : la Première sera dans l’avion ou sur les LGV, la Seconde dans les covoiturages ou dans les bus mis en place par ses soins mais que lui et ses amis ne prennent jamais. Les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien se croiseront peut être encore dans les gares mais ne prendront plus les mêmes trains ensemble. La boucle sera bouclée.

Viser la Première plutôt que l’accoudoir

La voilà la « modernité », des bus qui cassent le dos et nous éloignent le uns des autres, des bus qui passeront peut-être par les villes ou villages où des gares ont déjà été supprimées et ou certaines risquent de disparaître dans la continuité de la réforme actuelle. Il n’y pas qu’un statut, il y a un service public, l’accès des transports pour le plus grand nombre, peu importe où l’on se trouve sur le territoire. Les trains c’est du patrimoine, du bleu en Bretagne, de l’orange en France Comté, du quotidien, des souvenirs mêlés, des histoires, des retards parfois, des séparations douloureuses, des retrouvailles aussi, des paysages, un exploit technologique qui nous met à une journée de Lille quand on est à Toulouse, une carte postale de la France à l’étranger. C’est notre enfance, et même allons plus loin, c’est aussi un peu de notre identité qu’on démantèle.

Trente ans après ma question reste en suspens. La réponse du gouvernement à cette question est d’attaquer les « privilégiés » de la Seconde qui ont droit à 2 centimètres d’accoudoirs en plus que leurs voisins. Peu convainquant. Je n’ai pas renoncé à m’asseoir sur les fauteuils de la Première, mais je sais que je ne m’y sentirais vraiment à ma place que si tout le monde peut faire de même. Les fauteuils de la Première classe ça fait longtemps qu’ils devraient être dans tous les wagons au prix de la Seconde, c’est cela le sens du progrès et de la modernité, comme l’éducation et la santé pour tous pourtant réservées à la Première au temps rêvé de M. Macron….