Tout au long de notre tournée #AlloAnru nous reviendrons sur nos étapes en vidéo ou en billet pour vous faire vivre nos premières impressions et réflexions.
On commence par Alès. Où il est question de charbon, de Julien Doré, du Gardon, de gentrification et vous verrez que tout ça est lié.
Nous voici donc à Alès. C’est un matin de mai qui a des accents d’été tant la température semble monter rapidement. On se retrouve devant un chantier engrillagé avec mon collègue LFI-Nupes de la circonscription Michel Sala, des militants locaux de la Nupes dont les conseillers municipaux d’opposition Béatrice Lagrange et Paul Planque.
Ce dernier, membre du PCF, est un des enfants du pays et spécialiste des questions de rénovation urbaine de par sa formation d’architecte et d’urbaniste. L’Anru et ses effets est donc un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, il en suit d’ailleurs les évolutions dans son travail, y compris en Ile de France.
Mais revenons à la capitale des Cévennes: celle-ci compte aujourd’hui un peu plus de 42 000 habitants, elle est ce qu’on pourrait qualifier de ville moyenne typique avec ses avantages et problématiques.
Evidemment aucune ville ne se ressemble et c’est le cas d’Alès, qui a été marquée profondément par l’industrie du charbon, exploité depuis au moins le XIIIème siècle. Le charbon, mais aussi la production de soie dont les Cévennes ont longtemps été un épicentre auquel fait référence d’ailleurs Alessandro Barrico dans son roman éponyme, dont je ne peux que vous recommander la lecture.
L’industrie du charbon est toutefois celle qui a le plus marqué la ville, dans ses strates politiques notamment et l’organisation de la classe ouvrière travaillant dans les mines. Ainsi Alès a connu une des plus grève les plus longues d’Europe, du 5 mai 1980 au 10 juin 1981 avec les mineurs de la mine de Ladrecht. Il en reste une grande peinture symbolique en solidarité avec les mineurs réalisée en 1981 sur le mur de soutènement en béton du puits Fontanes.
Cette mémoire ouvrière a aussi été évoquée de manière indirecte par Julien Doré, le chanteur qui a donné à son dernier album le nom d’Aimée sa grand-mère originaire du bassin d’Alès. Cette dernière a té une grande militante de la CGT se battant notamment pour le droit des veuves de mineurs à obtenir leurs pensions de réversion, elle-même ayant perdu son époux mineur en 1965.
De cette histoire des mines il reste désormais un crassier, sur lequel nous reviendrons, et une constitution urbaine de la ville bien particulière.
La traduction politique de cette classe ouvrière organisée fut l’avènement de maires SFIO et communistes dans l’après Seconde Guerre Mondiale qui modelèrent profondément la ville.
Le premier grand pas de la transformation d’Alès fut amorcé par le maire socialiste Paul Béchard qui dans une optique hygiéniste assez en vogue à l’époque opta pour raser certains vieux quartiers centraux d’Alès, souvent dégradés, pour y substituer des grands immeubles d’habitation sociale. Cela quitte à voir disparaître l’auberge du Coq Hardi où fut signée la paix d’Alès entre protestants et catholiques en 1629.
Cette transformation du centre d’Alès lui donne la particularité d’avoir des quartiers de logements sociaux en son centre. Il y a encore dix années la ville comptait pas moins de 31% de logements sociaux, mais depuis ce chiffre est tombé à 20%, en dessous des objectifs légaux de 25%. La ville est donc de ce point de vue dans l’illégalité, et cela est d’autant plus dommageable que contrairement à d’autres elle possédait le parc nécessaire pour l’éviter, et qu’un réel besoin existe 85% de la population éligible au logement HLM.
Las, la municipalité reporte la construction de logements sociaux sur les communes de l’agglomération et assume pleinement sa politique de gentrification depuis 1995 et l’arrivée du Maire LR Max Roustan aux commandes de la ville.
C’est cette politique de gentrification que nous observons au cours de notre cheminement avec Michel, Paul, Béatrice et les militants de la Nupes locaux curieux d’échanger sur ce sujet. Nous nous sommes retrouvés au Faubourg du Soleil. Ce quartier est constitué d’immeubles anciens qui n’excèdent pas les 5 étages, et ressemble aux rues que l’on peut trouver dans les centres anciens de nombreuses villes petites et moyennes.
Devant nous un chantier où le vide a remplacé d’anciennes maisons qui appartenaient à des petits propriétaires. Ces maisons ont été rasées en 2022, ce qui est prévu désormais est la reconstruction de logements mais en nombre beaucoup moins important.
C’est en fait une grande partie des immeubles qui doivent être démolis. Paul Planque me fait observer qu’un certain nombre de ces immeubles sont qualifiés par les architectes de patrimoine remarquable et que beaucoup d’entre eux pourraient être réhabilités plutôt que démolis.
Ici on observe une caractéristique d’une rénovation urbaine impliquant un certain mépris de classe. A l’Alma à Roubaix, à la Reynerie au Mirail, à Clermont-Ferrand avec la Muraille de Chine, à chaque fois ce qui est pourtant un patrimoine architectural remarquable n’est pas reconnu par les parties prenantes des programmes souhaitant les démolir.
Pourtant quand il s’agit de sauver du patrimoine remarquable dans des quartiers aisés, les collectivités n’hésitent pas sous la pression parfois légitime des habitants à engager la préservation et la restauration nécessaire.
Notre tournée indique déjà qu’il y a une ignorance ou un mépris vis-à-vis de l’architecture et du bâti remarquable dès lors qu’il loge des classes populaires. C’est le cas dans le Faubourg du Soleil où la politique de démolition voulue vide peu à peu le quartier qui compte 65% de vacance de logement et où les bailleurs se désinvestissent de l’habitat laissant 58% de locataires vivre dans de l’habitat dégradé.
Un habitant du quartier regrette le choix des démolitions, se plaint du manque de consultation et aurait aimé que des études aient lieu pour savoir quels immeubles devaient ou non être démolis.
Arrivés en bas du Faubourg du Soleil nous traversons le pont de Rochebelle qui enjambe le Gardon. Ce dernier est la rivière d’Alès qui déborde parfois en raison des épisodes cévenols. Béatrice Lagrange élue d’opposition m’explique que la réhabilitation du Gardon fait partie intégrante du projet Anru à Alès. On peut se demander en quoi peut bien constituer la réhabilitation d’une rivière ?
Pour l’instant les seuls effets visibles par les habitants consistent à des opérations plutôt mercantiles du style Alès Plage, ou une guinguette éphémère aux prix assez élevés. Rapidement nous plongeons dans un des trois quartiers de grands ensembles d’Alès, celui de la Grand-Rue Jean Moulin.
Ici les effets de l’Anru visibles à première vue sont la destruction de deux coursives pour faire une « rue jardin ». Une intention louable mais qui a été mise en place sans penser à la question du stationnement des voitures des habitants nombreuses sur les trottoirs. Une sorte de ZFE urbanistique obligeant les gens à choisir entre leurs voitures ou leur logement.
Nous nous dirigeons à présent vers les Prés-Saint-Jean, nous voyons face à nous une colline qui s’arrête aux premiers arpents du fameux crassier d’Alès. Le crassier ressemble à un mont qui a pour cousin les terrils du nord de la France. C’est là qu’ont été stockés les déchets des mines de charbon. Problème : il entre régulièrement en combustion pour peu que l’humidité et la chaleur s’additionnent.
Cela a encore été le cas en juin 2022, un demi-siècle après la fermeture de la dernière mine. Bien sûr, les évaporations régulières du crassier sont susceptibles de poser des problèmes de santé aux personnes y étant exposées. C’est pourtant sur la colline attenante que la municipalité comptait construire 815 logements avec seulement 10% de logements sociaux afin de faire venir à Alès des catégories sociales plus aisées. Grâce à la mobilisation citoyenne ce projet a été empêché en raison de son impertinence écologique et sanitaire, mais est révélateur du contre sens de vouloir démolir des immeubles encore viables pour construire plus loin sur des emprises non artificialisées et surtout proches du crassier.
Un habitant que nous croisons et à qui nous expliquons notre démarche, aura cette phrase ô combien révélatrice en parlant d’un autre quartier concerné par l’Anru à d’Alès, les Cévennes, que nous n’aurons pas le temps hélas de visiter : « une tour a été vidée pour la détruire car ils veulent faire venir des gens biens. »
Cette expression des « gens biens » montrent aussi comment les habitants qui subissent les opérations de l’Anru peuvent ressentir celles-ci comme une dévalorisation d’eux-mêmes, qui revient souvent dans les témoignages des habitants impactés par les opérations de démolition-reconstruction.
Nous voici arrivés au Pré-Saint-Gervais, quartier de Grands Ensembles où l’on comprend que les services d’hygiène de la municipalité ne passent pas quotidiennement. Au seuil d’un bâtiment un hall avec écrit au-dessus en grandes lettres « Charbon », on devine un point de deal, mais l’appellation est comme un clin d’oeuil à une activité économique qui en a remplacé une autre. Il y aurait d’ailleurs un parallélisme à faire entre le vocable utilisé dans l’activité économique illégale, mais aussi dangereuse que la précédente, du trafic de drogue « charbonner », le « four », et celui des mines.
Une habitante, Zohra, nous attend pour nous témoigner des difficultés du quartier, du fait qu’il soit laissé à l’abandon malgré les bonnes volontés d’habitants ou d’associations. Ici aussi un certain nombre d’immeubles sont promis à la démolition, et l’abandon des pouvoirs publics semble sceller la fatalité qui s’abat sur les habitants avec lesquels nous discutons lors d’une rencontre organisée par les militants.
Cette fatalité de la machine « Anru », qui semble avancer comme un rouleau compresseur sans que l’on ne comprenne bien où en sont les prises. Utilisée parfois par des municipalités pour remplacer des populations plutôt que réhabiliter des quartiers à l’avantage de ceux qui y vivent.
La manière dont la gentrification a germé sur la désindustrialisation de la ville est frappante, ici comme à Saint-Etienne ou Roubaix. Le comble c’est que l’Anru y est utilisé localement pour l’accélérer. La visite prend fin par cette discussion collective où il convient de faire souffler l’espoir des luttes d’habitants qui comme à l’Alma à Roubaix ou au Mirail à Toulouse s’organisent pour préserver leur habitat et refusent d’être des variables d’ajustement de la rénovation urbaine version Anru.
Un grand merci à Michel Sala, les habitants et tous les militants de la Nupes pour cette visite de cette si belle ville à laquelle j’en suis sûr la Nupes redonnera bientôt ses couleurs.
L’occasion de citer ses paroles de Julien Doré:
« Nous
On ira voir la mer
Voir si la lune éclaire
De quelques têtes hors de l’eau
Un monde où tout se perd »