Article de Guillaume Laurens pour Actu Toulouse. 4 février 2021.
Contre le crime organisé et l’évasion fiscale, l’opposition demande à Toulouse Métropole de faire pression sur l’État pour réutiliser les biens acquis par les réseaux criminels.
Des êtres humains réduits au rang d’esclaves, forcés de mendier sous peine de sévices. Le procès inédit d’un réseau de mendicité forcée a démarré lundi 1er février 2021, salle Jean-Mermoz sur l’Île du Ramier, à Toulouse, pour une dizaine de jours. Avec pas moins de 18 suspects à la barre.
Traitées comme du bétail, les victimes étaient vendues, ou s’échangeaient pour 500 euros. Une histoire d’esclavage moderne impliquant cinq familles originaires de Bulgarie, qui régnaient sur des mendiants que l’on avait privés de papiers et qui vivaient, terrifiés, dans un camp du chemin de Gabardie, le long du périphérique, à Gramont.
Cette terrible affaire de traite d’êtres humains, blanchiment d’argent et association de malfaiteurs, rebondit jeudi 4 février 2021 au conseil métropolitain. Deux groupes d’opposition (Alternative pour une métropole citoyenne, et Métropole écologiste et citoyenne pour des territoires solidaires) proposent, par la voix de François Piquemal, un vœu « en faveur de la lutte contre le crime organisé et l’évasion fiscale ». Explications.
À lire aussi
- Traite d’êtres humains, mendicité forcée : à Toulouse, des femmes et des hommes réduits en esclavage
25 morts dans des règlements de comptes
Si ce « procès majeur » défraie la chronique à Toulouse, « ce n’est pas la première fois que des réseaux mafieux tissent leurs toiles sur le territoire métropolitain », décrit François Piquemal, déplorant que la Ville rose « dispose d’un terrain » où prospèrent ces réseaux. Rappelant l’affaire de la mafia albanaise, démantelée en 2019 par les services de police judiciaire, ou encore celle de ce couple pris pour cible en 2018 à Colomiers en lien avec la mafia azérie, l’opposition affirme que « ce sont au total 25 personnes qui ont été tuées ces dernières années dans des règlements de comptes liées à des activités mafieuses ».
De la mendicité au paradis fiscal
« Qu’il s’agisse de traite d’être humains ou de trafics de drogue, les règlements de comptes liés au crime organisé sont un facteur important d’insécurité dans notre Métropole, car la violence de ces réseaux, ce sont les habitants de nos quartiers, et souvent de nos quartiers populaires, qui la subissent », poursuit François Piquemal. « Il faut accentuer la pression et la répression sur ces réseaux criminels qui exploitent la misère pour s’enrichir ».
L’élu toulousain s’appuie notamment sur le travail de l’association Crim’Halt pour étayer ses dires. Il estime « qu’au-delà du problème de sécurité évident (…), ces organisations sont également un fléau pour l’économie et les finances publiques », puisque l’objectif principal de ces réseaux est le blanchiment d’argent sale, qui « rejoint souvent celui de l’évasion fiscale ». Dans son viseur ? « Les biens immobiliers qui appartiennent aux membres de réseaux de crime organisé, ou reconnus coupables d’évasion fiscale ».
Les organisations criminelles sont présentes dans l’économie légale et cela à différents niveaux. Leurs activités vont du petit commerce de quartier à de grosses sociétés, ou encore des discothèques, comme cela s’est déjà vu à Toulouse.François PiquemalÉlu à Toulouse et à Toulouse Métropole
Les trafiquants s’emparent d’un immeuble à 950 000 euros à Toulouse
Rappelons par exemple qu’en 2018, le démantèlement de deux réseaux de prostitutions liés à une filière nigériane avait fait grand bruit à Toulouse. La Police aux frontières avait alors procédé à l’arrestation et l’incarcération de neuf personnes, dont les quatre principales têtes d’un vaste trafic d’êtres humains. Du Nigéria à la France, en passant par la Lybie et l’Italie, des jeunes femmes étaient jetées sur les trottoirs de la Ville rose.
Gérées selon un système matriarcal, les prostituées devaient pratiquer leurs passes dans un immeuble acquis « en centre-ville de Toulouse » par les trafiquants. Coût estimé du bien : 950 000 € ! Elles ne recouvraient leur liberté qu’après avoir remboursé leur dette comprise pour chacune entre 40 000 et 50 000 euros. Et ce sont les loyers payés par les filles qui permettaient au trafiquant de rembourser ses échéances mensuelles… À l’époque, l’immeuble avait été saisi au titre des avoirs criminels, ainsi qu’une somme de 15 000 € en liquide et une voiture.
Une loi pour réutiliser à des fins associatives les biens des mafieux
Une illustration parmi d’autres d’un fléau qui resurgit régulièrement dans la Ville rose. Estimant « qu’il s’agit là d’un problème majeur qui mérite l’attention de la Métropole », François Piquemal l’a donc porté à l’attention de la collectivité jeudi, alors même qu’un « vœu similaire a été adopté par la municipalité à Paris ».
Concrètement, l’élu plaide pour que la France s’inspire d’une loi adoptée en 1996 en Italie, pour lutter contre la mafia, et qui a instauré « un dispositif de réutilisation sociale des biens confisqués au crime organisé ».
Dans cette optique, la députée (LREM) Sarah El Hairy, entrée au gouvernement depuis, avait bien proposé fin 2019 une loi qui visait notamment à ce que les immeubles confisqués aux criminels puissent être mis à disposition, à titre gratuit, des associations d’intérêt général, des fondations d’utilité publique et des sociétés foncières agissant dans l’intérêt général. Mais 18 mois et une crise sanitaire plus tard, cette proposition de loi prend la poussière dans les placards du Sénat, où elle attend une deuxième lecture… L’opposition souhaite que la Métropole fasse pression sur l’État pour « la mise en œuvre rapide de cette loi », et « demande aux sénateurs d’accélérer » sur la question.
Des immeubles pour « répondre à l’urgence sociale » ?
François Piquemal souhaite aussi que la Métropole soit « associée » au recensement des biens immobiliers qui seront ainsi confisqués par la justice sur le territoire de ses 37 communes, et ce afin que la collectivité puisse « étudier les possibilités de transformation des biens immobiliers saisis en lieux utiles socialement« . L’idée de l’élu, qui a longtemps œuvré à la tête de l’association Droit au logement ? Répondre aux besoins des habitants et à l’urgence sociale« . Et y installer « des coopératives, des logements sociaux, des centres sociaux », ou encore « des maisons inter-générationnelles ».
« S’attaquer aux racines du problème » dit François Piquemal
« Le maire et le gouvernement font tout un tas d’annonces sur la sécurité, notamment sur le renfort de policiers. Mais il faut s’attaquer aux racines du problème », défend encore celui qui était sur la liste d’Archipel Citoyen aux Municipales 2020. « Jean-Luc Moudenc avait dit que son arrêté anti-bivouac visait à lutter contre les réseaux criminels ou mafieux, mais celui-ci n’a touché que les victimes… C’est aux têtes des réseaux criminels qu’il faut s’attaquer et sur lesquelles il faut mettre la pression »