Le Comité de soutien à Ebru Firat a demandé la contribution de militant-e-s pour poursuivre la campagne demandant sa libération. Voici la mienne: Depuis septembre dernier le ciel est moins léger à Toulouse, les reflets de brique sont plus acides. La tragédie que vit Ebru Firat nous touche forcément, tant elle pourrait être une connaissance, notre camarade, notre amie, notre fille, notre sœur.
Depuis septembre dernier le ciel est moins léger à Toulouse, les reflets de brique sont plus acides. La tragédie que vit Ebru Firat nous touche forcément, tant elle pourrait être une connaissance, notre camarade, notre amie, notre fille, notre sœur.
Je ne connais pas Ebru mais quelque chose dans son visage m’est forcément familier, un sourire, une lumière dans le regard qui marque toute l’espérance et la volonté avec lesquelles peuvent parfois s’engager les jeunes dans des combats pour un monde meilleur, plus juste, plus tolérant. Et quel combat ! Partir au côté du peuple kurde pour lutter contre Daesh et les despotes de la région Erdogan en tête. Tout laisser pour ses idées, dans l’ombre sans lumière, en toute humilité, pour lutter aux côtés d’un peuple, qui est aussi le sien, opprimé de manière séculaire.
Ebru Firat est une combattante kurde, emblème de la lutte pour l’émancipation des minorités, emblème de la lutte contre le patriarcat, une place des femmes qui donne à penser dans notre pays où à travail égal les femmes touchent moins que les hommes. Le DAL, qui fait partie du réseau international No Vox, rassemblant des mouvements luttant pour le droit au logement mais aussi pour le droit à la terre, se sent forcément proche de celles et ceux qui se battent pour les arpents de leur peuple comme c’est le cas au Rojava. Le DAL se sent forcément proche de toutes les femmes qui luttent pour l’égalité, nos luttes étant le plus souvent menées par elles qui prennent leur destin en main ainsi que celui de leurs familles . Ebru Firat est aussi une étudiante toulousaine, issue d’une génération qui prend la dégradation des conditions de vie de plein fouet dans l’Hexagone, et qui voit poindre à l’horizon un hiver inquiétant où le repli sur soi et l’intolérance tombent comme de la neige sombre sur notre société. Ebru de cette jeunesse qui s’est mise debout au printemps dernier devant une loi incarnant à elle seule tous les désirs de la Troïka. Ebru de cette jeunesse que l’on dit souvent nihiliste, désabusée, mais qui est bien vivante et qu’on n’empêche pas de rêver même quand on essaie de réduire son temps de repos. Ebru, d’une jeunesse qui a en fait plus d’un idéal dans son sac et qui a la lourde mission de faire face à l’hiver qui vient. Ebru, d’une jeunesse à qui il reste l’espoir comme numéro d’écrou.
Ebru dans son combat, derrière ses barreaux est une des nôtres. Nos luttes peuvent sembler dérisoires par rapport à la sienne, mais il est de notre devoir de lutter où l’on est, près de nos murs, dans nos quartiers, dans notre ville qui est aussi la sienne. Ebru, nos luttes c’est notre manière de ne pas oublier celles et ceux qui sont passé-e-s avant nous, celles et ceux qui comme toi sont privé-e-s de liberté, celles et ceux qui partout dans le monde refusent la fatalité. Ebru, nos luttes c’est notre manière de t’envoyer un mandat. Un mandat par dessus leurs murs, un mandat entre leurs barreaux, un mandat par dessus leurs toits. On pense à toi.
Je ne me souviens plus de la première fois où j’ai pris le train, ni de ma première bouchée de pain. Par contre je me souviens bien de mon premier vol en avion et de de la première fois où j’ai goûté du foie gras. A bien y penser rien d’étonnant. Prendre les trains est pour beaucoup d’habitants de la France aussi courant que la baguette au repas.
Une question
Je me souviens plus de mon premier train, mais je me rappelle bien les prairies, les collines, les montagnes au loin, les arbres, le ciel gris qui varie au fil des kilomètres, le fil bleu à l’horizon qui est l’océan, les zones boisées, les zones périphériques, la ville, les villes : l’apprentissage des paysages d’un pays.
Je ne me souviens pas de mon premier train mais je me souviens bien de la première question qu’il m’a posé liée à la découverte des wagons du bout du train dans lesquels mes parents et moi n’étions pas autoriser à nous asseoir. Pourtant en me promenant dans le train ou en suivant les grands au wagon-restaurant, j’avais bien saisi que ces wagons « numéro 1 », c’était comme ça que je les appelais, étaient plus spacieux, avec des fauteuils plus confortables. Je découvrais alors la Première et la Deuxième classe.
J’avais du mal à saisir, que la Première soit réservée à quelques uns, et je proposais pour résoudre ce problème d’envisager une rotation parmi les voyageurs durant le voyage. Après réflexion, face à la complexité de passage qu’aurait produit un tel mouvement, j’en arrivais finalement à une option plus simple : aménager tous les wagons de Seconde classe en Première classe afin que tout le monde puisse profiter d’un meilleur confort. Etonnamment le bon sens ou un certain altruisme ne me faisait pas pencher pour une transformation des wagons de Première en wagons de Seconde classe.
C’est pourtant cette dernière solution que porte en somme le gouvernement dans la réforme sur la SNCF. Au lieu de tendre à ce que le reste des salariés du pays puissent atteindre les supposés « privilèges » des cheminots, qu’il serait plus juste d’appeler des « droits », il préfère niveler par le bas.
La cavalerie lourde
Et pour faire passer cette « réforme » régressive, Messieurs Philippe et Macron peuvent compter avec leur cavalerie lourde pour relayer sur les ondes radios et télévisées les fantasmes sur les cheminots privilégiés. Bien sûr ceux qui se fendent du « courage » de s’attaquer au statut de cette profession en ont beaucoup moins quand il s’agit de s’interroger sur le fait qu’un humain, Bernard Arnault, puisse en deux secondes toucher ce que gagne une grande partie de ces mêmes cheminots en un mois. Le pire de cette communication, aussi malhonnête que balourde, est qu’en partie elle fonctionne.
A croire que vouloir rendre son voisin aussi infortuné que soi semble un mantra toujours efficace, faisant appel à un bas instinct que l’on a tous connu au boulot: on est tous notre privilégié du quotidien, le collègue qui en fait un peu moins, l’ami qui a des meilleures horaires que nous…Mais franchement en quoi le fait que les cheminots aient moins de droits que nous va améliorer notre quotidien?
Comme l’a bien dit M.Besancenot on est tous le cheminot de quelqu’un. A fortiori lorsqu’on le côtoie quotidiennement, contrairement aux PDG du CAC 40. Car si le mantra fonctionne c’est finalement que le cheminot paraît atteignable à tous les habitants quand le PDG aux profits mirobolants semble lui trop éloigné pour que l’on s’attaque à ses vrais privilèges.
Quand on déclare la guerre au mauvais ennemi, on mène toujours de mauvaises batailles, à l’instar de celle que mène le gouvernement en se servant des « usagers » comme chair à canon médiatique pour prendre en otage le service public du rail.
La seule chose qui ruisselle actuellement c’est la précarité
C’est bien de cela dont il faut convaincre toutes celles et ceux qui s’y font embrigader, les encourager à la désertion de l’armée de la rigueur et de la casse du service public. Faire comprendre que ce qui est en jeu c’est de garder nos lignes, les petites et les grandes, et que cela passe par garder la ligne des cheminots pour en faire une ligne d’horizon à atteindre pour tou-te-s à court terme. Car bien sûr si la ligne des cheminots se brise, c’est toutes les autres qui vont subir le poids du ruissellement de la précarité derrière, et à propos de ruissellement, il serait bon de rappeler que la seule chose qui ruisselle des réformes gouvernementales c’est bien la précarité : APL, retraites, service public des transports…Soutenir les cheminots n’est pas une histoire de posture, c’est un choix de société entre vouloir tendre à plus de droits sociaux ou le rabaissement de ceux de tous, c’est un choix entre l’ambition et la médiocrité. Le gouvernement actuel ne déroge hélas pas des précédents en préférant la seconde.
Trente ans après mon premier train, il y a toujours une Première et une Seconde classe, et les gouvernements du néo-libéralisme, de la rigueur, du « réformisme », de la « concertation », de la « modernisation », nous ferons toujours voyager en seconde. Jusqu’ici ils étaient obligés de nous supporter à quelques wagons d’eux, désormais le projet sans projet de l’ex candidat Macron prend forme : la Première sera dans l’avion ou sur les LGV, la Seconde dans les covoiturages ou dans les bus mis en place par ses soins mais que lui et ses amis ne prennent jamais. Les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien se croiseront peut être encore dans les gares mais ne prendront plus les mêmes trains ensemble. La boucle sera bouclée.
Viser la Première plutôt que l’accoudoir
La voilà la « modernité », des bus qui cassent le dos et nous éloignent le uns des autres, des bus qui passeront peut-être par les villes ou villages où des gares ont déjà été supprimées et ou certaines risquent de disparaître dans la continuité de la réforme actuelle. Il n’y pas qu’un statut, il y a un service public, l’accès des transports pour le plus grand nombre, peu importe où l’on se trouve sur le territoire. Les trains c’est du patrimoine, du bleu en Bretagne, de l’orange en France Comté, du quotidien, des souvenirs mêlés, des histoires, des retards parfois, des séparations douloureuses, des retrouvailles aussi, des paysages, un exploit technologique qui nous met à une journée de Lille quand on est à Toulouse, une carte postale de la France à l’étranger. C’est notre enfance, et même allons plus loin, c’est aussi un peu de notre identité qu’on démantèle.
Trente ans après ma question reste en suspens. La réponse du gouvernement à cette question est d’attaquer les « privilégiés » de la Seconde qui ont droit à 2 centimètres d’accoudoirs en plus que leurs voisins. Peu convainquant. Je n’ai pas renoncé à m’asseoir sur les fauteuils de la Première, mais je sais que je ne m’y sentirais vraiment à ma place que si tout le monde peut faire de même. Les fauteuils de la Première classe ça fait longtemps qu’ils devraient être dans tous les wagons au prix de la Seconde, c’est cela le sens du progrès et de la modernité, comme l’éducation et la santé pour tous pourtant réservées à la Première au temps rêvé de M. Macron….